Le mot du président

Expédit B. Ologou

Le futur nous hante, nous jeunes d’Afrique. A la mesure de l’insécurité dans laquelle nous confine notre présent : répétition des situations chaotiques pourtant prévisibles et donc évitables, corruption pathologique, incohérence et inconséquence des politiques publiques, en un mot, échec de la gouvernance. Et nous sommes dans la nuit… La nuit de la misère. La nuit de la mer…

Parfois, il nous arrive de penser que notre futur à nous est déjà passé et dépassé ; que notre futur est antérieur à notre présent. Beaucoup d’entre nous ont le triste sentiment qu’on nous a volé notre jeunesse. Cela explique, pour une large part, pourquoi une immense majorité de la jeunesse africaine vit au présent et ne croit qu’à la théologie du présent. En tout cas, les contingences terrifiantes du présent lui offrent de moins en moins des raisons de croire à autre chose, encore moins en l’évangile du futur. Or, cette théologie du présent est une nécro-théologie, une théologie de l’apocalypse, une théologie de la clôture.

Pourtant, les discours les plus optimistes disent que l’avenir du monde se dessine en Afrique : et on évoque à l’appui de ces discours la force de la démographie, des ressources naturelles et de la jeunesse africaine. Mais, malgré cette force du nombre, de la quantité brute et du juvénil-vigoureux, se peut-il que l’Afrique manque de prendre la place qu’on dit qui sera la sienne dans le temps qui vient.

Il faut résister à cette théologie. Voire la conjurer. Les formes de résistance s’inventent chaque jour, partout sur le continent et dans les diasporas africaines. Nous aussi au CiAAF, comme déférant à Aimé Césaire, nous nous sommes mis debout, parfois arc-boutés dans la nuit, à la recherche d’un bout de point qui luit. Et, une de ces mille nuits, la nuit qui luit nous a dit, presqu’à la manière d’une injonction : il y a une voie productive, celle de la résistance ; non pas la résistance-contre-attaque seulement, mais la résistance qui est à l’initiative ; la résistance par les idées, la résistance par l’action, la résistance-force de propositions ; en somme, la résistance positive et prospective. Les notes d’analyse, les rapports de recherche, des enquêtes scientifiques, les activités de formation, de sensibilisation et de mobilisations citoyennes seront nos moyens.

Au CiAAF, le visiteur rencontrera le tempérament volcanique de « l’intellectuel total », porté par l’envie parfois de renverser la table et de tout chambouler … Et on pourra, peut-être là, nous surprendre en flagrant délit d’« épistémologie subversive et d’une critique implacable des stéréotypes »[1] à l’œuvre dans la gouvernance de nos sociétés. Et même si, par le génie des procureurs du jour, l’infraction venait à être constituée, quelle honte y aurait-il à être héritier de Fanon ? Au CiAAF, on remarquera également la patience et la froideur du chercheur dans le geste qui consiste à penser l’Afrique de nos vœux… On y croisera aussi le doigté, l’intelligence dopée de la passion de régler un problème concret de l’expert. On y observera par ailleurs, « l’effervescence créatrice » du citoyen… Au croisement de tous ces tempéraments, il y a l’envie et la foi d’une Afrique meilleure ! Le CiAAF est donc une alliance. Nous sommes une Académie, donc portés vers le travail intellectuel. Et nous sommes citoyens, donc tournés aussi vers l’action concrète dans et pour la Cité. Au CiAAF, nous portons donc l’ambition d’une neutralité engagée au service de l’Afrique à partir du Bénin.

Mais la noblesse de notre ambition repose sur l’humilité qui caractérise notre action. D’une part, nous voudrions concentrer une part de notre énergie sur le lieu à partir duquel nous vivons et sentons l’Afrique.  Ce premier réflexe a le mérite de la modestie et de l’efficacité : apporter de la réflexion innovante à des problèmes concrets de notre environnement immédiat. D’autre part, nous pouvons articuler les préoccupations locales à celles régionales et globales de l’Afrique. Cette articulation entre le local et le global sera plus fructueuse. Car le temps est loin derrière nous où le haut verbe panafricaniste et afrofuturiste pourrait suffire à lui tout seul à rouvrir le futur enchanté de toute l’Afrique.

Au CiAAF, nous voulons nous éprouvons le fort sentiment d’être de la très longue lignée de ceux qui, par la pensée, mais aussi par l’action, et par le mixage intelligent des deux, auront contribué à l’avènement d’une meilleure Afrique à ceux qui viendront après nous. Voulez-vous être de la digne et fière lignée ? Si oui, venez avec nous. Pour la longue marche… !

[1] Roberto Beneduce, « L’ archive Fanon. Clés de lecture pour le présent », Politique africaine, n°143, 2016, (pp. 7-34), p. 8.

Expédit B. OLOGOU

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