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Depuis l’épisode du SRAS (2002-2003), des centres de recherche, des gouvernements échafaudent de grandiloquents plans de riposte à d’éventuelles pandémies eschatologiques et apocalyptiques. Sans trop y croire visiblement. Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de la France publié en 2008 relevait déjà qu’au-delà des guerres, les risques sanitaires majeurs constituent un des principaux facteurs de déstabilisation massive pour la population et les pouvoirs publics[1]. Mais il existe toujours une dissonance cognitive entre l’événement redouté et celui qui survient. Il a suffi d’un virus, le SARS-CoV-2 responsable du Covid-19, venu cette fois-ci encore de la République Populaire de Chine qui a déjà fait, il est vrai plusieurs centaines de milliers de morts, pour que notre planète prenne peur, en tremble au point de se pisser dessus, sous nos yeux effarés. C’est évidemment plusieurs centaines de milliers de morts de trop. Mais la peur est mauvaise conseillère. Surtout face à une pandémie dont la létalité est très faible, infime par rapport au Sras, à Ébola, à Marburg, à Machupo, à Nipah… Je relève la disproportion entre les causes, la réalité du Covid-19 et la terreur de masse qu’il produit. Trois choses : la mort fait partie de la vie, il n’y a pas de risque sanitaire zéro et notre demande de l’État est déraisonnable[2]. Je n’ai pas dit que c’est rien. Je ne suis ni froid ni inhumain. J’interpelle simplement sur le même ton que F. D. Roosevelt pendant sa campagne de 1932 : « S’il y a une chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même ». Nous nous découvrons tout d’un coup nu, si vulnérable, apeuré par le fléau qui a comme le bacille de la grande peste (XIVe siècle), la syphilis (XIXe siècle), le vibrion cholerae (XIXe) profité de l’ouverture globale du monde, des échanges pour se répandre aux quatre coins de la planète. De grandes puissances européennes se sont totalement barricadées et ont ruiné pour longtemps leur économie, volontairement. Folie. Quand on sait que la Chine n’a confiné que quelques villes.

 

Les choses sont allées très vite. Il est des circonstances où le jeu international n’a apparemment plus rien du monstre froid décrit par les réalistes, où le perçu, le vécu, le ressenti semblent l’emporter sur les paramètres, les chiffres, les rapports de force, mais au fond, ce sont toujours des jeux de pouvoir et des choix stratégiques qui l’emportent[3]. Dans la tragédie du moment, l’Asie (surtout la Chine, la Corée du Sud, Taiwan, Singapour (…), semble mieux s’en sortir, l’Afrique effrayée jusqu’à l’affolement, les États-Unis sont tétanisés par le décompte macabre, certaines puissances européennes comme la France, l’Italie et l’Espagne sont accablées, désorganisées, incapables de produire et de fournir à leur population en temps, en heure et en quantité, de simples masques, des tests, des ventilateurs, des blouses, des lits de réanimation…. De toute évidence, « Il y a manifestement une crise de l’Europe : après une longue période de prédominance, qui semblait aux contemporains devoir durer toujours, le Vieux Monde voit, pour la première fois, son hégémonie contestée. Mais ce qui risque d’être mis en cause de ce fait, c’est, avec la destinée d’un continent, celle de toute une forme de civilisation. Sous son aspect le plus grave, la crise est là »[4]. Au-delà de l’Europe, toute l’Occident semble totalement dépassée. De quoi les mesures cache-misère de prophylaxie publique prises par des gouvernements pour essayer de contenir le Covid-19 sont-elles le nom ? Le virus disparaîtra-t-il tout seul ou sera-t-il vaincu par nos capacités techniques et organisationnelles ? Je répondrai avec l’habilité d’André Malraux que les questions sont aussi importantes que les réponses. Et chaque réponse devient une nouvelle question.

 

Les hommes ont cru en la fin des épidémies, en la fin de l’histoire, certains ont même proclamé la fin prochaine de la mort (on nous promettait la « mort de la mort »). Nos sociétés ont en effet tout fait pour bannir la mort de leurs horizons. Elles croyaient de manière croissante en la toute puissance du numérique, du nucléaire, aux promesses de l’intelligence artificielle, du transhumanisme… Et voilà que pour paraphraser Saint Augustin, nous autres civilisations, savons maintenant que nous sommes poussière, rien ; « Tout ce qu’on a raconté est affreux : les monceaux de ruines, les incendies, les rapines, les meurtres et les barbaries. Tout cela est vrai : nous avons gémi, nous avons pleuré sans pouvoir nous consoler : je ne le nie donc pas, j’en tombe d’accord, cette histoire est triste et la Ville a cruellement souffert… Vous vous étonnez que le monde périsse : comme si vous vous scandalisiez que le monde vieillisse ! Le monde est comme l’homme : il naît, il grandit, il meurt… Ne soyons pas troublés en voyant les justes souffrir ! Leur souffrance est une épreuve : ce n’est pas une damnation » (Sermons, LXXXI, 8)[5]. Nous sommes réduits à la loi universelle de l’entropie, à notre animalité fondamentale, « au socle biologique de notre humanité » (Françoise Héritier). Nous restons des homo sapiens appartenant au monde animal, attaquables par des maladies Les moyens de lutte contre le Covid-19 sont rustiques, moyenâgeux, au regard des avancées supposées ou réelles de la médecine et des technologies de toutes sortes ; quarantaine, confinement sans médicament, sans vaccin, fermeture des frontières, les fosses communes comme du temps de la peste[6], se laver les mains comme pour éviter le choléra (« maladie des mains sales »), éternuer dans son coude comme le tuberculeux est incité à expectorer dans un crachoir. Est-ce si différent de ce qui se passait dans la Grèce et la Rome antiques ou au Moyen Âge[7]?… Lire la suite

[1] Jean-Claude Mallet, Défense et Sécurité nationale. Le Livre Blanc, Paris, Odile Jacob/Documentation française, 2008,  p. 55.

[2] Michel Schneider, Big mother : psychopathologie de la France politique, Paris, Éditions Odile Jacob, 2002, 335 p.

[3] Bertrand Badie, Le temps des humiliés. Pathologie des relations internationales, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 7.

[4] André Siegfried,  La crise de l’Europe, 1935, p. 2620.

[5] Michel Onfray, Décadence, Paris, Flammarion, 2017, p. 13.

[6] Vito Fumagalli, Paysages de la peur : L’homme et la nature au Moyen Âge, Université de Bruxelles, 2009, 396 p.

[7] Nous employons le Moyen Âge comme cette époque de l’historiographie occidentale, qui succède à l’Antiquité et précède les Temps modernes. Cette périodisation est valable pour le monde occidental, et ne peut s’appliquer « nolens volens ».

 

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