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Une précision s’impose à l’entame de cette réflexion : elle n’est porteuse d’aucune prétention de vérité absolue. Elle n’est qu’une humble et libre réflexion de son auteur sur une réflexion toute aussi libre d’un autre auteur. Et je l’affirme d’emblée : elle s’est voulue critique ; elle est critique. Et en tant que critique, elle est ouverte et prédisposée à la contre-critique. Car, de la controverse, jaillira peut-être un début de vérité. Il ne faut surtout pas s’y tromper : la critique d’une œuvre n’est pas le déni de la qualité de l’œuvre. Bien au contraire ! La beauté d’une œuvre résidant aussi dans ses imperfections. Et pour avoir dit, avec Thierry Bidouzo, que les propositions apparemment loufoques de Donald Trump[1] sur le traitement du Covid-19 auraient dû être prises au sérieux et servir à une mise en science[2], je suis bien placé pour ne pas tomber dans un piège plus grave : celui de dénier à un savant, la pertinence de ses idées. Mais la science, c’est aussi la diversité des idées, les controverses et les contradictions. La science, c’est aussi les polémiques. Les polémiques sont salvatrices tant qu’elles ne sont ni futiles, ni inutiles, ni meurtrières[3].

L’article du Docteur Pierre Adimi, objet de ce papier, est publié par le CiAAF[4]. Il porte une idée que l’auteur lui-même qualifie d’originale[5]. Et je suis d’accord avec lui sur l’originalité de sa trouvaille. Dans un papier qui explore les possibilités de renaissance en Afrique du multilatéralisme en temps post-covidien, l’auteur constate les errements des processus d’intégration africaine, la quasi invisibilité du continent sur les grands enjeux du monde. Et pour y remédier, il propose la mise en place d’un G8 Afrique[6]. Un groupe de huit Etats africains sélectionnés par lui sur des critères « objectifs » ; à qui il confie la mission de coordonner la riposte à long terme contre le Covid-19, de booster l’intégration africaine et de porter haut et loin la parole du continent africain[7]. L’idée a tout d’intéressant. Elle participe du « devoir de sorcellerie » qu’Expédit Ologou suggère à tout Africain – qui plus est un chercheur – en ce temps covidien[8]. Pierre Adimi a pensé « à coups de marteau »[9]. Et c’est l’un des mérites qui resteront éternellement attachés à son œuvre. Partant de lui, et prenant exemple sur lui, je me permets de marcher dans ses pas pour penser « à coups de marteau ». Son œuvre sera la cible de mon marteau. Car, si intéressante que paraît le multilatéralisme adimien[10], il suscite quelques débats, quelques interrogations, quelques réserves, quelques résistances, quelques appréhensions… qu’il convient de relever. Par ce papier, je fais donc l’option d’entrer en dialogue avec l’auteur et d’être respectueusement en désaccord avec lui. Sur son idée et sur l’opérationnalité de son invention.

Je discuterai la théorie et la pratique, c’est-à-dire d’une part l’idée, le principe même du G8 Afrique (I). Je lui dénierai l’essentiel des vertus que lui trouve mon aîné. Et je proposerai une voie alternative. D’autre part, je discuterai le contenu et la forme que Pierre Adimi donne à son G8 Afrique. J’en montrerai les limites et les travers pour conclure à son inopérationnalité (II).

  I. La fragilité du multilatéralisme adimien

Ma réflexion ici est orientée par la mission que Pierre Adimi confie au G8 Afrique. Je comprends l’ambition de l’auteur et le diagnostic qu’il établit. Mais je discute la solution qu’il propose. Elle me semble à l’antipode des objectifs (A). En lieu et place, je proposerai une alternative (B).

        A. Un projet antithétique

Le Docteur Pierre Adimi confie trois missions essentielles au G8 Afrique qu’il propose : « assurer la coordination des actions de riposte à long terme sur le continent mais aussi dans le long terme, être un catalyseur du processus d’intégration régionale et continentale mais également une force diplomatique africaine dans la gouvernance mondiale »[11]. Il existe pourtant une organisation continentale – l’Union africaine – qui peut valablement jouer ce rôle. Mais selon l’auteur, le multilatéralisme africain est actuellement marqué par une « paralysie des différents systèmes institutionnels »[12] et « le non-respect des engagements et mécanismes internationaux »[13]. Je ne discute pas ce diagnostic car j’y adhère en grande partie. Mais l’ordonnance du docteur me paraît inappropriée. Parce qu’elle ne traite pas la maladie. C’est un traitement alternatif. En fait, le multilatéralisme adimien est un contournement du multilatéralisme. Il « concurrence, voire occulte, le multilatéralisme, là où il est essentiel au contraire de le conforter »[14]. L’idée de cette « diplomatie de club »[15], c’est la mise sous boisseau des mécanismes institutionnels existants, ou à tout le moins, leur domination par un groupe minoritaire autoproclamé qui déciderait de tout, pour tous et contre tous. Pourtant, le multilatéralisme est la « diplomatie de tous avec tous et non plus seulement bilatérale »[16]. C’est le sens originel et la vision originale du multilatéralisme ; « cette grande invention du XXe siècle »[17] concrétisée par la mise en place de la Société des Nations en 1919, puis de l’Organisation des Nations Unies en 1945. L’idée, c’est d’associer tous les acteurs à la gouvernance mondiale…Lire la suite

[1] Le Monde, « Les élucubrations du “Docteur” Trump », 24/04/2020, URL : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/24/rayons-uv-et-desinfectant-injecte-dans-les-poumons-leselucubrations-du-docteur-trump-contre-le-covid-19_6037652_3210.html, consulté le 21 juin 2020.

[2] Emmanuel Odilon Koukoubou et Thierry S. Bidouzo, « Polémiques autour des remèdes au Covid-19. Réflexion sur la recherche en temps d’urgence sanitaire », Les fragilités du monde, Dossier du CiAAF n°2, mai-juin 2020, URL : https://www.ciaaf.org.

[3] Ibid. Dans cet article, j’ai qualifié, avec Thierry S. Bidouzo, de futiles, inutiles et meurtrières, les polémiques observées autour des propositions de remèdes/médicaments au Covid-19.

[4] Pierre Adimi, « Vers un renouveau post-covidien du multilatéralisme en Afrique ? », Les fragilités du monde, Dossier du CiAAF n°2, mai-juin 2020, URL : https://www.ciaaf.org.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Expédit Ologou, « Penser la fragilité universelle. Notes provisoires sur le temps covidien », Les fragilités du monde, Dossier du CiAAF N°2, mai-juin 2020, URL :  https://www.ciaaf.org/covid-19/penser-la-fragilite-universelle-notes–provisoires-sur-le-temps-covidien/, consulté le 2 juin 2020.

[9] L’expression est de Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles ou Comment philosopher à coups de marteau, Paris, Gallimard, 2014, 151 p. ; cité par Expédit Ologou, Op. cit.

[10] Ce concept sera utilisé pour qualifier la forme de multilatéralisme proposée par l’auteur : le G8 Afrique.

[11] Pierre Adimi, Op. cit.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Bertrand Badie, « Les “G” et l’archipel de la gouvernance mondiale », Association Après-demain, Après-demain 2015/3 n° 35, p. 22.

[15] Ibid.

[16] Bertrand Badie et Guillaume Devin, « Avant-propos », in Bertrand Badie et al., Le multilatéralisme, La Découverte, « TAP/Relations internationales », 2007, pages 7-9.

[17] Bertrand Badie, « Les “G” et l’archipel de la gouvernance mondiale », Op. cit.

 

 

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