Le Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF) a organisé un mini colloque sous-régional intitulé « Les médias et le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel », le 6 mai 2023 au Chant d’Oiseau de Cotonou. Il a réuni des experts, chercheurs, universitaires et professionnels des médias pour des échanges constructifs sur le rôle des médias, le droit du public à l’information en contexte d’extrémisme violent et de terrorisme.
Le CiAAF, à travers son Groupe d’études et de recherches sur les médias a initié, le mini-colloque pour réfléchir sur le phénomène complexe du terrorisme en rapport avec le rôle des médias. Quatre temps forts ont marqué les travaux qui ont duré de 9h à 17h45.
Mots d’ouverture
La cérémonie d’ouverture a été marquée par les propos du Président du CiAAF, Dr. Expédit Ologou et du discours de la Présidente de l’Union des Professionnels des Médias du Bénin (UPMB), Zakiath Latoundji.
Selon Expédit Ologou, les pays africains font face aux effets du terrorisme à des degrés variables. Mais le mal terroriste, dira-t-il, sévit avec rage et frayeur dans les pays ouest-africains, et notamment dans certains pays limitrophes au Bénin. C’est la raison pour laquelle, ce mini-colloque vient à point nommé pour offrir aux experts, chercheurs, universitaires et professionnels des médias, un espace d’échanges constructifs autour des articulations possibles entre le rôle des médias, le droit des citoyens à information, le terrorisme . Le colloque répond à un besoin de formation, de spécialisation et de professionnalisation des journalistes, a fait savoir, pour sa part, Zakiath Latoundji dans son intervention.
Communication inaugurale
Donnée par Sadibou Marong, Directeur Afrique de l’Ouest de Reporter Sans Frontières depuis le Sénégal, la communication inaugurale a permis d’ouvrir une fenêtre de lecture sur la thématique à travers le thème « Les médias et le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel : tendances actuelles et perspectives ». Cette première communication a mis en exergue les défis liés à la liberté de presse et d’information face à l’expansion des attaques terroristes en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Dans sa communication, Sadibou Marong s’est basé sur des exemples du Burkina-Faso et du Mali où la liberté de presse reste un défi face à une double crise. Il s’agit d’une part, du terrorisme et d’autre part, de l’instabilité politique. Aussi, a-t-il évoqué les difficultés des journalistes à avoir accès à l’information et les problèmes liés à la protection des sources. Cette communication inaugurale a laissé place aux travaux en panels.
1er panel : comment concilier le droit à l’information et les impératifs sécuritaires ?
Le premier panel, sous la modération de Dr. Wenceslas Mahoussi, chercheur au CiAAF, a porté sur le thème « Le droit du citoyen à l’information face aux impératifs sécuritaires ». Les panélistes, Franck Kpotchémè, Conseiller à la Haac, Dr. François Awoudo, expert-médias et le Commandant Ebenezer Vincent Honfoga, Chef du Bureau Informations et Relations publiques de l’Etat-major général des Forces armées béninoises, ont analysé, à l’aune des contraintes sécuritaires, la législation relative aux médias.
Dans son intervention, le Commandant Honfoga a abordé les pratiques informationnelles dans le contexte béninois où le terrorisme devient un sujet préoccupant. Il a notamment insisté sur le respect de l’éthique et de la déontologie dans le traitement des informations. Dans le fond, il s’agit, pour les acteurs des médias, de s’assurer des règles de vérification des faits collectés avant toute diffusion. Le Commandant Honfoga a aussi invité les journalistes à avoir des accréditations avant d’engager les investigations dans les zones d’opération des forces de défense et de sécurité.
2è panel : le traitement médiatique du terrorisme au Burkina Faso et Niger
Le deuxième panel a porté sur le thème « Le traitement médiatique du terrorisme au Sahel : regards croisés ». Deux panélistes ont partagé avec les participants leurs réflexions sur le sujet. Il s’agit de Dr. Sosthène Tobada, enseignant-chercheur en Sciences de l’information et de la de Communication à l’Université André Salifou de Zinder au Niger et de Dr. Lucien Batcho, enseignant-chercheur en Sciences de l’information et de la Communication à l’Université Joseph Ki-zerbo de Ouagadougou.
Les discussions du panel ont débuté par l’intervention du Dr. Sosthène Tobada sur le traitement médiatique du terrorisme au Niger. Dans ce pays, dira-t-il, trois principales régions font face aux attaques terroristes récurrentes : Diffa où sévit Boko Haram, la région de Tawa-Nord et celle de Tillabéri. Selon Dr. Tobada, pour se rendre dans l’une de ces régions pour un reportage, les journalistes sont astreints à adresser aux autorités une demande d’autorisation, laquelle doit préciser la zone ciblée par le reportage et le thème du reportage. Lorsque l’autorisation est accordée au journaliste, la prise en charge financière de l’escorte militaire pour la sécurité de l’équipe de reportage est à la charge du média, a précisé Dr. Sosthène Tobada.
Sur le cas burkinabé, Dr. Lucien Batcho est revenu sur les difficultés des hommes des médias dans un contexte marqué par des coups d’Etat militaires. La liberté de presse a connu une dégradation majeure au Burkina Faso durant les deux dernières années. Les deux coups d’Etat ont davantage fragilisé l’espace médiatique et favorisé les politiques de rétrécissement de la liberté de presse. A ce sujet, Dr. Lucien Batcho, a rappelé certains cas de fermeture de médias et l’expulsion des journalistes par le pouvoir militaire en place.
Table ronde : les nombreux challenges pour informer en contexte terroriste au Bénin
Dernière phase du mini-colloque, la table ronde animée par le journaliste Léonce Gamaï, manager du web média Banouto, a porté sur le thème « Informer en contexte terroriste : enjeux, risques et défis pour les médias au Bénin». Cette table ronde a réuni des journalistes professionnels ayant tous une expérience en investigation. Une communication introductive de cette table ronde a été donnée par le Général à la retraite, Etienne Adossou. Dans sa communication, il a relevé que les médias, par leur travail, peuvent contribuer à la propagande terroriste. Pour l’ancien officier supérieur de l’armée, les médias, dans leur travail légitime d’information doivent prendre en compte l’intérêt de l’Etat pour ne pas servir, sans le vouloir, la cause des terroristes. Aussi, a-t-il exhorté les journalistes à se pencher sur les causes profondes du terrorisme sur le terrain béninois plutôt que de se contenter du décompte macabre des pertes en vies humaines.
A la suite du Général Adossou, Dorice Djèton, Journaliste, Directrice du Groupe d’Etudes et de Recherches sur les médias ( GERMe) au CiAAF, a partagé son expérience de terrain à Banikoara et à Karimama, deux communes frappées par les attaques terroristes. Ayant orienté ses recherches sous l’angle du genre, elle a appréhendé les difficultés qui sont celles des femmes face aux effets du terrorisme. De même, M. Rodrigue Azinnongbé, Directeur de la radio Fraternité FM à Parakou, a déploré la publication de certaines images choquantes dans le traitement des informations liées aux attaques terroristes. Dans le même sillage, Flore Nobimè et Emilien David ont partagé leurs mésaventures avec les Forces de Défense et de Sécurité ( FDS) dans le cadre de leur métier de journaliste au Nord-Bénin. Pour Josué Mèhouénou, journaliste à La Nation, il faut reconnaître qu’il y a parfois un mauvais traitement de l’information par certains professionnels des médias. Cependant, a-t-il rappelé, les journalistes doivent continuer d’informer les populations malgré la sensibilité du fait terroriste.
Au terme de cette table ronde, un point de convergence mérite d’être mentionné. Pour les journalistes, il s’agit de trouver les meilleurs moyens et outils pour informer les citoyens sans pour autant faire l’apologie du terrorisme sous toutes ses formes. La synthèse des échanges et les mots de remerciements du Président du CiAAF, Expédit Ologou, ont mis fin au mini colloque sous-régional sur les médias et le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Les actes du colloque seront publiés dans les prochaines semaines.
Rapporteurs : Joël Tchogbé (Assistant de recherche associé) et Ismaël Bouhari (Assistant de recherche junior)