Télécharger au format PDF

Le journalisme scientifique a pour objectif de rendre la science accessible à tout le monde en s’appuyant sur les différents médias, que ce soit la presse écrite, la radio, la télévision ou le numérique (blogs, réseaux sociaux)[1]. Toutes les sciences sont concernées, qu’elles soient « exactes » ou « humaines et sociales ». Des sciences politiques à l’astrophysique, le champ à couvrir est vaste. L’essentiel est de s’appuyer sur la recherche, les chercheurs et la connaissance éprouvée.

Pour mieux appréhender le sujet abordé dans ce papier, la COVID-19 est la meilleure illustration. La pandémie de la COVID-19 a induit une publication massive de données scientifiques sur l’origine, les manifestations, le traitement et la prévention de la maladie[2]. Les recherches dont les résultats ont été publiés en urgence ont eu  comme corollaire un contrôle de qualité parfois défaillant[3]. De plus, il a été noté une diffusion abondante de fausses informations sur la COVID-19[4].  Ceci a contribué à affaiblir la riposte contre la pandémie et suscité la méfiance des populations vis-à-vis d’autres stratégies éprouvées de santé publique comme la vaccination contre la poliomyélite[5]. Et c’est justement là que le journalisme scientifique prend tout son sens. Il permet de transmettre dans un langage simple ou populaire les résultats des travaux de recherche en faisant un tri qualitatif de la littérature scientifique existante. Il assure aussi une déconstruction des fausses informations en se basant sur la science. Il induit, par ailleurs, une culture et une passion scientifiques au sein de la population et particulièrement au niveau des jeunes et suscitent des vocations.

En Afrique, le journalisme scientifique est relativement dynamique, surtout sur les questions de santé et d’environnement. Il reste cependant marginal dans les rédactions encore dominées par les sujets politiques, sportifs et de société. Il y a également le défi de trouver des moyens créatifs et innovants pour toucher effectivement les audiences de moins en moins enclines à regarder la télévision, lire de longs textes, ou encore écouter la radio. Le journalisme scientifique en Afrique est très peu documenté. Cette réflexion, exploratoire, se propose de faire un rapide et empirique état des lieux du journalisme scientifique en Afrique.

Devenir un journaliste scientifique…sur le tas

Il est difficile de donner un chiffre précis sur le nombre d’écoles de formation en journalisme scientifique dans le monde. Cependant, il existe de nombreuses écoles de journalisme dans le monde qui proposent des cours ou des spécialisations en journalisme scientifique. En Afrique, il n’existe presque pas d’écoles pour devenir un journaliste scientifique. On le devient essentiellement par la pratique et par les sujets régulièrement abordés dans les productions. En France par exemple, il existe dans les écoles de journalisme, des filières consacrées au journalisme scientifique avec des curricula adaptés[6]. Mieux, à l’Université Laval au Canada, il existe par exemple une Chaire en journalisme scientifique dont la mission est de « découvrir le journalisme scientifique en l’étudiant, en l’analysant et en documentant ses pratiques, tant par des interactions régulières avec ses acteurs que par des travaux de recherche universitaires »[7]. A l’ESJ de Lille, il existe des parcours de formation en journalisme scientifique. Nous pouvons citer Agnès Vernet, journaliste française exerçant depuis une quinzaine d’année et Présidente de l’Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d’Information (AJSPI) depuis 2020. Elle a complété sa formation initiale en biologie moléculaire d’un diplôme en journalisme de sciences, obtenu à l’ESJ-Lille. Spécialiste du vivant, elle collabore à différents médias francophones, dont Sciences et Avenir – La Recherche depuis 2016.

Sur le continent, on est encore loin de cette académisation du journalisme scientifique qui reste, cependant, dynamique. Certains journalistes, à l’intérieur des médias généralistes, se spécialisent dans la réalisation de productions, principalement, sur des thématiques de santé et d’environnement. L’existence des divisions/desk santé et/ou environnement ont formalisé cette réalité au sein des rédactions. Les sujets politiques et de société y sont encore prépondérants. Le numérique a certainement accéléré la création en ligne des médias spécialisés en science[8].  Des médias spécialisés comme Sci Dev [9], bien que siégeant en Grande-Bretagne, couvrent, grâce à des journalistes basés en Afrique, l’actualité scientifique du continent avec une crédibilité reconnue.

Les travaux de recherches dans certaines sciences humaines et sociales comme la sociologie, les sciences politiques, le droit et l’histoire sont moins vulgarisés dans les médias. On peut néanmoins citer l’exemple d’une ancienne émission de la radio nationale béninoise intitulée « Les voi(x)es de la pensée »[10]. Cette émission était un véritable véhicule de savoirs et de connaissances animée par le journaliste et politologue Expédit OLOGOU. On peut sans doute affirmer que les études en sciences politiques de ce dernier ont influencé sa volonté de produire une émission de ce type. En effet, le parcours académique peut déterminer la volonté ou la facilité du journaliste à se spécialiser dans un domaine scientifique particulier. Faire du journalisme devient alors une façon de prolonger son parcours académique et permet de construire un réseau de personnalités de référence de son domaine. Si avoir un parcours de chercheur ou faire des études dans un domaine scientifique ne sont pas nécessaires pour pratiquer du journalisme scientifique,  ils renforcent tout de même la crédibilité du journaliste et la confiance que les chercheurs peuvent lui accorder.

Toucher effectivement les cibles

L’un des défis du journalisme scientifique en Afrique est de toucher les cibles. Les thématiques scientifiques ne font pas forcément les plus grandes audiences. Les moyens innovants pour intéresser un large public existent mais ils n’imprègnent pas suffisamment la pratique du journalisme. Par exemple, il s’agit de réfléchir à comment opérer une transformation profonde des médias classiques à l’aune des potentialités des nouveaux médias pour atteindre effectivement la cible. Le podcast, le journalisme de solution, la visualisation des données, les courtes vidéos, le journalisme collaboratif, les réseaux sociaux, le storytelling doivent être davantage considérés. Il serait intéressant que des travaux de recherche évaluent l’efficacité, la capacité de ces différents moyens à permettre de toucher les cibles dans nos contextes africains. Avant tout, le manque de financement reste la plus grande faiblesse.  Réaliser une production de qualité a un coût. Il n’est souvent pas supportable par le journaliste déjà mal payé[11]. Les subventions, les bourses, les partenariats public-privé et les levées de fonds sont des options de financement à explorer.

Les réseaux de journalistes peuvent faciliter la mobilisation des ressources et les partages des bonnes pratiques. De nombreux pays ont des associations de journalistes scientifiques. Dans certains cas, ces associations ne fonctionnent pas à leur plein potentiel. Il existe, tout de même, au niveau africain, des réseaux dynamiques de journalistes scientifiques. On peut citer le Réseau des Journalistes Scientifiques d’Afrique Francophone (RJSAF)[12] .

Que gagne le journaliste scientifique ?

Globalement, dans les contextes africains, ce que gagne le journaliste scientifique relève plus de l’immatériel que du matériel. En effet, il renforce aussi sa culture scientifique et développe un carnet d’adresses pourvoyeuses plus tard d’opportunités. Il n’est pas rare de voir d’anciens journalistes scientifiques occuper des postes de chargé de communication d’organisations internationales et d’instituts de recherche.

Dans les médias, il n’y a pas de prime spécifique à couvrir la science. Par contre, des possibilités de bourses pour participer à des évènements touchant à des thématiques scientifiques existent. Les occasions pour participer à des formations de qualités ne manquent pas. Il en est de même des concours de productions médiatiques pour décrocher de prestigieux prix, y compris de l’argent. Par exemple, International Journalist’s Network (ijnet)[13] et Word Federation of Science Journalist (WFSJ)[14] publient régulièrement sur leurs sites web des opportunités ciblant les journalistes scientifiques. Quoique stimulants, ces avantages ne compensent pas un revenu décent régulier. Peu de journalistes scientifiques vivent de leur métier. Seuls les journalistes ayant des contrats avec les médias de service public ou collaborant avec des médias internationaux arrivent souvent à joindre les deux bouts. Certains journalistes exercent leur métier à temps partiel, en complément d’un autre job.

L’intérêt relatif des chercheurs pour la popularisation scientifique

Globalement, la priorité pour les chercheurs est de publier les résultats de leurs travaux dans les revues scientifiques et progresser dans leur carrière professionnelle. En Afrique, certains chercheurs s’intéressent très peu à la popularisation scientifique et ont une méfiance vis-à-vis des journalistes. Pour réaliser leurs productions, les journalistes scientifiques ont quelques fois du mal à trouver les personnes ressources adéquates.

Dans le même temps, des institutions de recherche travaillent en étroite collaboration avec les médias pour diffuser des informations scientifiques de qualité. Par exemple, l’Académie Africaine des Sciences (AAS) organise des ateliers de formation pour les journalistes scientifiques, des conférences et des événements pour promouvoir la vulgarisation scientifique en Afrique. Des organisations de recherche comme le Conseil pour la Recherche Scientifique et Industrielle (CSIR) en Afrique du Sud, et le Centre international de Recherche Agricole dans les Zones Arides (ICARDA) au Maroc travaillent également avec les médias pour diffuser les résultats de leurs recherches à un public plus large. Plus spécifiquement en Afrique de l’Ouest, nous pouvons citer l’Institut Pasteur de Dakar et l’International Institute of Tropical Agriculture (IITA) basé au Nigéria.

Il faut encourager les laboratoires de recherche à avoir des services médias en prenant l’exemple de l’Unité de Recherche en Microbiologie Appliquée et Pharmacologie des substances naturelles (URMAPha)[15] ou de Genetics, Biotechnology & Seed Sciences (GBioS)[16] à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Ces services doivent être dirigés par des journalistes scientifiques ou des chercheurs qui se forment à la vulgarisation scientifique ou au journalisme scientifique. De plus, le financement des projets de recherche doit être conditionné par l’intégration et à la budgétisation d’un volet vulgarisation/popularisation scientifique.

En somme, le journalisme scientifique en Afrique est en constante évolution, avec des progrès significatifs dans certains pays et des défis persistants dans d’autres. Dans les années à venir, il prendra certainement davantage de place dans les médias. Et ce n’est que de cette façon que les populations et les politiques peuvent croire en la science, s’engager pour elle et y consentir davantage de ressources. C’est d’autant plus important que les fausses nouvelles, les « vérités alternatives » pullulent.

_________________________

NOTES

[1] Science.lu, « Le métier de Journaliste scientifique », 19 avril 2023, Disponible sur : https://www.science.lu/fr/quels-metiers-existent-dans-science/le-metier-journaliste-scientifique , consulté le 19 avril 2023.

[2] Sarkis J, Assaf J, Sarkis P, « Publications durant la pandémie du COVID-19 : entre quantité et qualité », La Presse Médicale Formation, oct 2020, 1(4):332‑3.

[3]  David Larousserie, « Le Covid-19 engendre une multiplication des publications scientifiques », 17 mars 2020, Disponible sur : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/03/17/le-covid-19-engendre-une-multiplication-des-publications-scientifiques_6033385_1650684.html , consulté le 19 avril 2023.

[4] Manus J.M., « Pire que l’épidémie : l’infodémie, le côté sombre des réseaux sociaux », Rev Francoph Lab, déc 2020;2020(527):12‑3.

[5] Groupe des Nations Unies pour le Développement Durable, « Au Bénin, l’infodémie sur les vaccins anti-COVID-19 compromet le succès des campagnes de vaccination contre la poliomyélite », 6 janvier 2022, Disponible sur: https://unsdg.un.org/fr/latest/stories/au-benin-linfodemie-sur-les-vaccins-anti-covid-19-compromet-le-succes-des-campagnes , consulté le 19 avril 2023.

[6] École Superieure de Journalisme de Lille, « Filière Journalisme de science (Bac +5) », Disponible sur: https://esj-lille.fr/formation.php?id_formation=18 , consulté le 22 avr 2023.

[7] Université Laval, « Chaire en journalisme scientifique Bell », Disponible sur: https://www.ulaval.ca/la-recherche/unites-de-recherche/chaires-de-recherche-en-partenariat/chaire-en-journalisme-scientifique-bell , consulté le 22 avr 2023.

[8] https://vert-togo.tg/ , https://allforsciences.media/.

[9] https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/.

[10] https://ortb.bj/archives/index.php/info/itemlist/category/59-les-emissions-les-voi-e-x-de-la-pensee.

[11] Jeune Afrique, « Combien gagne un journaliste ? », 30 août 2004, Disponible sur : https://www.jeuneafrique.com/58399/archives-thematique/combien-gagne-un-journaliste/ , consulté le 22 avr 2023.

[12] https://rjsaf.com/.

[13] https://ijnet.org/en/opportunities.

[14] https://wfsj.org/.

[15] https://web.facebook.com/URMAPha.

[16] https://web.facebook.com/GBioS.FSA.UAC.

S'abonner à notre Newsletter

Rejoignez notre mailing list pour recevoir les informations du CiAAF

Vous êtes abonné!