Voici deux ans qu’on lui mène la vie dure. Deux ans correspondant aux deux ans de pouvoir de Patrice Talon. Le régime de celui-ci, annoncé pour réinstaurer l’Etat de droit au Bénin affiche pourtant au bilan deux ans après, un gros point noir en matière de respect de la Cour constitutionnelle, la gardienne du temple démocratique béninois. Non-respect de ses décisions, dénigrement, humiliation, fragilisation…, les torts faits à l’institution sont nombreux, fréquents et font craindre un coup de grâce si celui-ci n’est déjà donné.

Point n’est besoin de s’attarder sur des décisions de la Cour constitutionnelle constatant la violation ou la méconnaissance de la Constitution par le gouvernement (et toutes autres autorités l’incarnant) qui n’ont pas été respectées.

L’exécutif et ses représentants font bien plus qu’ignorer des décisions de la Cour constitutionnelle. A défaut de contester les arrêts qui gênent – parce que les décisions de la Cour sont sans recours – il faut lyncher par le verbe l’institution qui les prononce.

En janvier 2018, la Cour constitutionnelle annule le retrait par l’Assemblée nationale du droit de grève aux magistrats et aux agents de santé. Elle aura péché. La presse pro-gouvernementale et les relais du pouvoir sur les réseaux sociaux se livrent à une campagne de dénigrement de l’institution et surtout de son président, Théodore Holo.

Même le président de la République, garant de l’exécution des décisions des juridictions conteste ouvertement la décision de la Cour. Si le commentaire d’un arrêt de la Haute juridiction est libre, peut-on cependant subtilement douter de l’impartialité de celle-ci ? Le président Patrice Talon, qui, face aux syndicalistes à son palais affirme s’incliner “devant les décisions de la Cour constitutionnelle”, glisse pourtant  une phrase qui interpelle :

“Les institutions de la République peuvent recaler certaines autres institutions qui parfois font des choses qui ne sont pas conformes à la compréhension de ceux qui ont le dernier jugement.”

Or en l’espèce, il ne s’agissait pas de la compréhension des membres de la Cour constitutionnelle pris individuellement. C’est l’interprétation de la Cour s’impose. Le retrait du droit de grève à certains agents publics est bien contraire à la Constitution et non “à la compréhension de ceux qui ont le dernier jugement”.
Consciemment ou non, des propos similaires sont lâchés par des responsables non moins importants de l’appareil d’Etat à l’égard de la Cour constitutionnelle. L’institution a récemment épinglé Jacques Ayadji, directeur général des Infrastructures, qui au nom d’une supposée liberté d’opinion, avait pu affirmer qu’une décision de la Cour devait “être jetée à la poubelle”. Ce “mépris considérable” n’est pas resté impuni puisque la Cour saisie a condamné le sacrilège et exigé la diffusion sa décision par Radio Tokpa qui avait relayé les propos en cause.

Ce rappel à l’ordre devrait inspirer le directeur de la Communication présidentielle, Léandre Houngbédji à contrôler ses récentes sorties sur des sujets concernant la Cour constitutionnelle. Celle-ci, par la décision n°18-045 du 20 février a avoué son incapacité à vérifier les salaires des membres du gouvernement. Invité à se prononcer sur la rémunération des ministres, le patron de la communication gouvernementale s’est permis d’émettre des doutes sur l’authenticité de la décision de la Cour constitutionnelle par ces termes tenus sur Radio Tokpa :

“J’ai vu passer il y a quelques jours dans quelques journaux, un texte qu’on a attribué à la Cour constitutionnelle comme étant une décision sur la question (…) Si la décision est vraie, parce que aujourd’hui on fabrique de tout, on peut observer les inventions de certains laboratoires, mais si la décision est vraie, observez (…)”

Et la dénégation subtile s’est poursuivie ce vendredi 6 avril 2018 à la Maison des Médias. Là, face à ses anciens confrères de la presse, le communicant du pouvoir a encore présenté l’arrêt de la Cour par ce bout de phrase : “On a tous vu passer dernièrement une décision… qu’on lui prête (…)”.
La décision est pourtant réelle, publiée, et disponible sur le site web de l’Institution. Sa lecture permet de découvrir une énième banalisation de la Cour constitutionnelle. En effet, ni le président de la République, ni son ministre des Finances n’ont cru devoir répondre à la mesure d’instruction de la Cour qui leur demandait de lui fournir les informations sur la rémunération des membres du gouvernement.
“La subtilité du langage peut servir la polémique si l’on ne prend garde”, selon le président Talon qui s’exprimait devant les évêques catholiques du Bénin.
Les propos méprisants à l’égard de la Cour constitutionnelle évoqués ici, à force d’être répétés par des responsables au plus haut niveau de l’Etat contribuent à jeter du discrédit sur l’organe gardien de la Loi suprême du Bénin. Et par ricochet à fouler aux pieds la Constitution elle-même.
Pour prévenir cette profanation, le constituant béninois n’a pas été aussi inspiré et que celui du Niger qui a prévu que « tout jet de discrédit sur les arrêts de la Cour est sanctionné conformément aux lois en vigueur » (art. 134 de la Constitution du Niger). Mieux, la Constitution nigérienne sanctionne l’inexécution par le chef de l’Etat des décisions de la Cour constitutionnelle :

“Est passible des mêmes conséquences que l’empêchement absolu, le refus du Président de la République d’obtempérer à un arrêt de la Cour constitutionnelle constatant une violation par celui-ci des dispositions de la présente Constitution.”
Si une telle disposition était prévue au Bénin,…

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