Télécharger l’article au format PDF

Le chapelet macabre auquel le phénomène terroriste commence par habituer le Bénin depuis décembre 2021 est un révélateur du devenir inquiétant de la société béninoise. Sur les plateformes numériques, se donne à lire une expression de compassion distante à l’égard des citoyens tombés dans la défense de la patrie. Se propage aussi, à tort ou à raison, une expression de la méfiance de certains citoyens face aux différents recrutements au profit des forces de sécurité et de défense. Le débat a enflé à tel point que la Police Républicaine a dû, via une conférence de presse, expliquer les raisons de la prorogation des délais de recrutement des agents de police. La bataille communicationnelle autour de l’engouement ou non des citoyens pour le recrutement au profit des forces de sécurité et de défense est la preuve que nous sommes en présence d’un débat qui n’aurait pas dû avoir lieu : les enjeux et les circonstances auraient dû commander une sorte, si ce n’est d’union, de communion dans l’épreuve. Mais nous en sommes loin. Les manquements et inaccomplissements sociopolitiques collectifs, lointains et récents, de la société béninoise ont fait tellement stigmatiser des terroristes avant la lettre et avant l’heure que maintenant, le temps est plutôt à la prolifération des stratégies citoyennes de dérisions allusives vis-à-vis des recrutements engagés par le gouvernement pour le compte de l’armée à fins de lutte anti-terroriste[1]. Dérisions allusives, en raison aussi – inaccomplissement collectif – de l’ambiance généralisée de peur quant à la liberté d’expression dans l’espace public et les médias. Mieux, la société civile, aussi bien organique qu’inorganique, est, à l’exception de quelques-uns de ses maillons, comme paralysée, dans l’impossibilité de se (re)mobiliser, d’abord pour des propositions, ensuite pour des exigences citoyennes sur la gouvernance sécuritaire du pays, enfin pour l’échafaudage de stratégies de sensibilisation et de (re)mobilisation des citoyens sur un sujet aussi crucial pour tous. Des partis politiques, on n’attend ni n’entend beaucoup. Et ce n’est pas nouveau.

Le propos de cette réflexion est de jeter quelques fragments d’idées pour alimenter le débat relatif à la gouvernance de l’épreuve terroriste… Le piège central dans la situation actuelle serait de privilégier une riposte essentiellement militaire. Autrement dit, il faut entendre avec des oreilles dépassionnées les sirènes de l’armée française clamant neutralisations des acteurs djihadistes. Il faut une gouvernance réaliste, transversale qui, d’une part, tient compte des failles pré-existantes à la survenance de l’événement terroriste et, par suite, engage des actions pragmatiques pour le futur immédiat et moyen.

 I-          Une évaluation réaliste des failles déjà là.

La gouvernance réaliste du terrorisme serait efficace grâce à un maître-mot, qui serait en même temps un maître-principe : l’humilité. Elle commande de prendre acte des failles ou des risques qui sont pré-existants ou concomitants à l’effectivité du phénomène terroriste et d’en tirer les meilleures leçons pour la suite. Ces pièges déjà là sont ceux de la radicalisation violente de certains espaces clés de la vie nationale.

  • L’extrémisme politique

La récente trajectoire électorale du Bénin offre à chaque Béninois la preuve des réservoirs féconds de la radicalisation politique violente qui existent dans le pays. La prolifération et la circulation diffuses des discours légitimant les frustrations, les revendications, contestations et protestations politiques, éventuellement violentes constituent un risque sérieux. Elles peuvent être un terreau substantiel à une radicalisation des poches sociales, politiques jusqu’ici restées calmes voire indifférentes. La question des chasseurs, groupe sociocommunautaire disposant de capacités de combat contre les forces de sécurité et de défense sur plusieurs jours à l’occasion des violences électorales de 2019 et 2021, demeure une équation irrésolue dans le fond. Le silence des hostilités n’est jamais en la matière synonyme de la fin de toute velléité si le casus belli – les causes de la guerre – n’est pas convenablement traité. Les frustrations qui couvent dans les enclaves de la société ne disparaissent automatiquement suite aux démonstrations officielles d’apaisement. En situation sécuritaire critique, il ne faut surtout pas être indifférent aux indifférences et aux silences.

  • L’extrémisme religieux

Ne pas traiter ce problème, revient à moyen terme, à entretenir la boîte de Pandore. Certains groupes religieux aux discours et actes porteurs de violences verbales, morales, symboliques sur les individus voire les institutions républicaines semblent avoir acquis une licence au-dessus de la loi. Le phénomène « Parfaite de Banamè »[2] en est l’illustration évidente avec son lot de provocations interpersonnelles, intergroupes et anti-institutionnelles. Le souvenir est encore vivace de la défiance de « la dieue autoproclamée de Banamè » à l’égard du Président de la République. Elle avait publiquement affirmé, sur un ton particulièrement arrogant et indécent, que celui-ci ne peut rien contre elle, en dépit des éventuelles dérives dont son mouvement religieux serait l’auteur de façon répétitive[3]. Elle avait même proclamé que le Président Talon serait dans ses mains. Un tel épisode rarement repérable dans l’histoire béninoise des rapports publics des mouvements religieux aux autorités politiques a laissé plus d’un citoyens révoltés, perplexes voire inquiets surtout quand on sait la main dure dont le pouvoir de M. Talon fait preuve face à des indélicatesses moins graves. Une partie de l’opinion a pu conclure qu’il s’agit là d’une fragilisation manifeste de l’autorité de l’Etat qui emporte a minima des conséquences judiciaires. Pourtant, rien n’y a fait. Une autre partie de l’opinion s’est donc occupée d’opérer une critique tout aussi extrême de l’attitude de dame « Parfaite ». Bertin Koovi, acteur public béninois connu pour ses excentricités verbales, est le représentant de cette réplique radicale. La multiplication de ces licences hors et au-delà de la loi et les formes de radicalisation ainsi générées constituent une source potentielle de violences préjudiciables à la cohésion sociale, et qui pourraient être fécondées par le contexte terroriste.  Le phénomène de la « secte Azzael » à Monkpa dans la commune de Savalou au centre du Bénin, ayant causé la mort de huit personnes dont deux agents des forces de sécurité publique, donne une idée des effets déstabilisateurs de l’extrémisme religieux.

  • L’extrémisme social

L’extrémisme social au Bénin ces dernières années recouvre plusieurs types de phénomènes. D’abord, il peut être l’ensemble des actes violents posés par des individus en raison de leurs conditions sociales devenues insupportables pour eux. Des désespérés sociaux qui ont le sentiment que ni la société ni la gouvernance du pays ne leur procurent aucune forme d’espérance peuvent verser au meilleur des cas dans l’indifférence totale, le silence extrême face aux signes d’émergence du phénomène violent – ce qui est dangereux pour la collecte et le traitement de renseignements d’Etat –, au pire des cas à la participation insidieuse ou active à la production du terrorisme. Cette forme d’extrémisme social est liée au fait que le citoyen se sent au bout du bout de la vie pour diverses raisons. Dans de telles circonstances, plus rien ne le retient en vie. La multiplication des suicides, des pendaisons dans les différentes couches sociales, notamment dans la partie septentrionale du pays en 2020, suggère, en attendant de solides études, que certains citoyens béninois ont une familiarité et une facilité à mettre fin à leur propre vie[4].  De tels faits peuvent être des conditions favorables pour certains profils d’individus à l’insertion dans un projet terroriste.

Ensuite, l’extrémisme social au Bénin s’exprime aussi par la facilité avec laquelle une partie du corps social peut infliger la sanction suprême, la violence extrême à un concitoyen supposé coupable d’une infraction qu’elle n’est pas habilitée à juger. L’exemple par excellence de ce type d’extrémisme social est la vindicte populaire qui a exécuté dans le vif un jeune étudiant à Parakou au dernier trimestre de l’année 2021[5].

En outre, la coexistence conflictuelle intercommunautaire, notamment entre agriculteurs et éleveurs est un terrain fertile de l’extrémisme violent[6], un canal probable de mutation vers certaines formes de criminalités –dont les enlèvements contre rançons –  et d’insertion dans l’aventure terroriste.

Enfin, l’extrémisme social peut prendre toutes les formes de transgression joyeuse, onirique et orgiaque des convenances morales et sociales. La récurrence du phénomène de la diffusion sur les réseaux sociaux numériques des sextapes est la parfaite illustration de cette forme de transgression joyeuse. Elle s’accommode d’une verbalisation décomplexée, satirique et vulgaire du sexe. Cette pornographie verbale à visage découvert dans l’espace public suppose un travail psychique préalable de démantèlement systématique des interdits moraux et sociaux. Un tel dispositif psychique de transgression systématique des convenances sociales est parfois perméable ou adjacent à des aventures compatibles aux versants criminels des entreprises terroristes : le trafic de drogue et autres stupéfiants voire les nouvelles formes d’arnaque par les moyens de la communication numérique. Une société où le mal, du moins ce qui est socialement convenu comme n’étant pas bien, devient banal a de fortes chances de devenir une société poreuse à toutes formes de déviances.

Un soldat dans le parc de la Pendjari, au Bénin. (Image d’illustration) STEFAN HEUNIS / AFP

II-          Une gouvernance pragmatique de chantiers sensibles

Le phénomène terroriste est par essence un sujet très sensible. L’une des meilleures stratégies pour y faire face requiert une gouvernance fine d’autres sujets sensibles dont l’irrésolution serait un facteur d’épanouissement du terrorisme.

  • Une nouvelle couture du tissu social

Il est irréaliste en l’état actuel des choses de ne pas admettre, au-delà des discours politiciens partisans, que le tissu sociopolitique du Bénin est dépacifié au moins depuis les élections législatives d’avril 2019. Or, les crises politiques sont presque toujours le révélateur d’un malaise social dont le traitement est demeuré soit approximatif soit insuffisant. La gouvernance du pays sur bien des plans a privilégié une approche de dissensus dur délaissant aux marges les conséquences de celui-ci sur la cohésion de la société. Si l’option du dissensus dur sur la base du principe de la majorité a une quelconque efficacité sur le plan juridico-politicien, le consensus social minimal est obligatoire et nécessaire face aux menaces sécuritaires de dislocation de la société.

Malgré la rhétorique de sa mise à mort ou de sa dé-légitimation, toutes les fois que l’on a voulu par maniérisme, opportunisme ou fanfaronnade politiques se détourner de certains de ses principes fondamentaux, survient presque toujours un événement qui renvoie les Béninois à l’esprit fondamental de la Conférence Nationale : le dialogue et le consensus sur les sujets majeurs de la vie en commun. Sans complexe, l’esprit d’ouverture, de consultation de l’ensemble des forces vives de la Nation, de leur remobilisation intelligente face à la menace commune pourrait être une option judicieuse pour recoudre le tissu social déchiré de parts en parts.

Recoudre le tissu social, suppose d’entendre les grondements, les mécontentements qui traversent le corps social. Reléguer tous ces signes sous le prétexte d’un nouveau paradigme que peineraient à suivre des citoyens boiteux pourrait s’apparenter à un manque de lucidité politique. Inutile de le rappeler : la menace terroriste ne discrimine pas entre « rupturiens » et « non rupturiens » ; elle frappe qui, où, quand, comment elle veut. Inutile aussi de rappeler ce principe stratégique millénaire : en temps de guerre – ou de ce qui en tient lieu – l’équipement matériel des troupes militaires et l’appui des autorités politiques et militaires ne suffisent pas ; l’effort de guerre économique sous-tendu par la communion vibrante de la population, en un mot, l’Esprit combatif du Corps Social  est décisif.

Cette nouvelle couture du tissu social passe aussi par une revitalisation des relations civilo-militaires. Dans certaines localités du Bénin, les affrontements sanglants entre civils et forces de sécurité et de défense, précisément lors des élections législatives de 2019 et présidentielle de 2021, ont à coup sûr altéré la qualité des relations d’une partie des citoyens avec les forces armées républicaines. Il est nécessaire d’intensifier les initiatives de re-pacification de ces relations et de réinsertion de certains citoyens et enclaves sociales dans la vie républicaine. Cette politique publique de la paix est à accomplir. En ce sens, les détonations produites par les attaques terroristes de ces dernières semaines sont une salutaire piqûre de rappel aux élites gouvernantes pour écouter, ausculter et entendre les authentiques murmures qui sourdent les diverses enclaves de la société béninoise.

Il y a urgence pour les organisations de la société civile en général, et celles de la jeunesse en particulier, sinon d’intensifier, de réorienter leurs actions pour mieux y intégrer les ressources, stratégiques et techniques citoyennes de résilience face à la variable désormais réelle du terrorisme au Bénin. La question extrêmement sensible du renseignement citoyen ainsi que celle de la protection des droits fondamentaux de l’homme dans ce nouveau contexte méritent d’être inscrites à l’agenda des acteurs non étatiques.

  • Pour une nouvelle économie de la relation

Maurice Obadia distingue entre l’économie relationnelle et l’économie matérielle. S’il y a une perception critique relativement consensuelle de l’action gouvernementale depuis 2016, c’est que celle-ci privilégie l’économie matérielle, financière au détriment de l’économie sociale. Peut-être, faudrait-il inverser la tendance : privilégier l’économie relationnelle, une économie « plus humaine ». Il ne s’agit pas de promouvoir une « économie désargentée »[7] dans le pays, mais il pourrait être bénéfique de montrer un visage autre que celui d’une gouvernance de l’argent/matériel par l’argent/matériel et pour l’argent/matériel.

Par conséquent, un accent rigoureux mérite d’être mis sur les politiques de l’attention qui ont été jusqu’ici les points faibles de la gouvernance actuelle du pays. L’attention respectueuse des conditions sociales des plus vulnérables et des indigents de la société est un point de départ intéressant. Il nous faut faire attention : les plus pauvres sont les plus riches dont le terrorisme a besoin. Les plus pauvres sont en effet riches de leur insouciance, de leur espérance perdue, de leur vie déjà consumée telles que produire la mort d’autrui avec éventuellement sa propre mort devient un acte libérateur, expurgatoire de la souffrance qui de toute façon s’arrête avec la production de l’acte terroriste et qui pourrait même faire signe vers un salut au-delà de la mort. Or, si l’on retravaille vraiment ces politiques de l’attention, on s’apercevra de l’existence de zones frontières physiques et mentales dangereuses au sein et aux marges desquelles l’avenir critique de notre société se joue.

  • Une réforme de la réforme de la décentralisation

Le surgissement du phénomène terroriste suggère sinon une réforme du moins un réajustement de la réforme de la décentralisation au moins dans les communes déjà touchées et susceptibles d’être affectées par le phénomène. En effet, la réforme de la décentralisation en cours tend à faire du maire, principal acteur politique de la commune, l’assistant politique du nouveau Secrétaire Exécutif. Celui-ci, qui n’est pas élu, – mais choisi au tirage au sort dans un fichier national de prédisposés ou même nommé dans certains cas – et qui dans l’absolu peut ne pas être de la commune, détient l’essentiel du pouvoir exécutif en ses mains. Il est l’ordonnateur du budget communal[8]. En revanche, il ne jouit presque d’aucune légitimité ni sociale ni politique face à un maire et des conseillers communaux élus, ayant souche dans la commune. Malgré la promesse d’un meilleur traitement matériel et financier des maires et conseillers communaux, leur dépossession de la gouvernance politique exécutive des communes et, par conséquent, leur privation d’emprise sur celles-ci constituent une source non négligeable de frustrations profondes. Il peut en découler le désengagement insidieux des élus et l’abandon des défis importants dans les mains éventuellement fébriles et néophytes du Secrétaire Exécutif. Les probabilités étant fortes que les citoyens suivent l’attitude et les injonctions silencieuses de leurs leaders politiques, le Secrétaire Exécutif peut devenir, dans des communes sous attaques et/ou menaces terroristes, une guirlande dans un décor déjà confus et volatile et, par suite, une partie du problème au lieu d’en être l’une des pistes de solution.

Au fond, la situation sécuritaire actuelle commande que les acteurs aux commandes des communes sous pression terroriste aient une connaissance exercée, approfondie et surtout stratégique des contextes locaux. La production, en temps d’urgence, du renseignement d’alerte ultra-rapide situé, fonctionnel et susceptible de provoquer une série de décisions opérationnelles requiert qu’il n’y ait point de place aux querelles de chiffonnier et d’apothicaire entre les acteurs stratégiques de la gouvernance locale, tels le Secrétaire Exécutif et le Maire. En situation critique, il est toujours judicieux de veiller que la légitimité politique des gouvernants ne dépérisse. Le dépérissement de celle-ci est un facteur d’accélération de la crise.

Au moins, peut-on suggérer la suspension de la mise en œuvre de cette réforme de la décentralisation dans les communes déjà sous régime de l’urgence terroriste et plutôt renforcer le système de gouvernance local existant.

  • Une réinvention des politiques publiques sociales sous régime d’urgence sécuritaire

La situation actuelle impose de repenser au moins les politiques socio-sanitaires et éducatives des localités sous menaces et/ou attaques terroristes. Par exemple, la réorganisation de la cartographie et du calendrier scolaires dans les zones cibles des menaces et/ou attaques terroristes doit être à l’ordre du jour en fonction des éventuelles trajectoires du phénomène. Plusieurs scénarii peuvent être envisagés : de la multiplication concentrée des attaques dans la zone Nord-Ouest à l’essaimage dans l’ensemble du pays en passant par l’éparpillement des attaques dans de nombreuses localités du Nord.

De même, il ne serait pas superflu d’envisager l’introduction, du primaire à l’université, des modules d’enseignement sur l’extrémisme violent. Les curricula doivent être adaptés en fonction des apprenants mais l’objectif central est de les préparer à avoir des réflexes utiles voire indispensables pour la sécurité collective.

  • Une stratégie d’évitement des décisions polémiques

Dans un contexte où la remobilisation sociale est nécessaire face au terrorisme, il n’est pas infondé de ralentir le train des décisions susceptibles de créer des controverses inutiles, du malaise social dont le bénéfice est quasiment nul pour la cohésion sociale. Il peut être productif d’éviter les décisions de crispation sociale. En cela, est salutaire la décision du gouvernement béninois de suspendre l’arrêté du Préfet du Littoral relatif à la restriction de la circulation des minibus de transport en commun dans la ville de Cotonou[9].

De même, pour l’avenir proche du pays, la gouvernance gagnerait à éviter une erreur voire une faute politique névralgique. Cette erreur/faute serait de poursuivre la stratégie d’exclusion, synonyme de frustrations, à l’occasion des prochaines échéances électorales. C’est une décision polémique à éviter au double sens du terme : polémique, d’une part, au sens où elle peut créer des controverses interminables ; mais polémique, d’autre part, au sens où elle peut provoquer de la violence. L’hypothèse d’élections législatives de 2023 exclusives d’une partie non négligeable de la classe politique, synonyme de la non-participation d’une partie des citoyens – pourrait être un facteur par excellence d’aggravation du contexte critique et de dépacification violente du pays, toutes choses dont le terrorisme est friand. Il suffit d’imaginer les situations post-électorales de 2019 et de 2021 dans un contexte de fièvre terroriste. La fatigue due à la répétition des crises et violences électorales couplée au chapelet des morts militaires et civils en raison des actes terroristes pourraient faire tomber des digues de certitude mentale et matérielle. « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent », nous apprend le plus prestigieux stratège de tous les temps, Sun Tzu.

 

Conclusion

La gouvernance de l’extrémisme violent et du terrorisme est incompatible avec le verbe et le regard hauts, et toutes les formes de gouvernance par la suffisance.

Dans un contexte où l’impression commence par être généralisée que la démocratie est « capturée »[10] par un groupe restreint d’acteurs ; où la liberté d’expression devient une conquête périlleuse plutôt qu’un acquis ; où le sentiment serait de plus en plus persistant que la prospérité économique est soumise à l’appartenance et/ou à la subordination à une clique restreinte de privilégiés ; la redistribution des ressources nationales serait fortement inégalitaire alors même que la vie devient très chère  ; où l’accès aux fonctions politiques électives est sujet à une capture quasi-nominative ; où le service public de la justice est soumis à de vives controverses sur sa partialité; dans un tel contexte, les opportunités semblent multiples pour les entrepreneurs et producteurs de discours légitimant toutes formes d’extrémisme. Il faut trouver des moyens intelligents de désactivation de ces mines symboliques, psychologiques et discursives.

En même temps, il faut se préparer aux incidences du redéploiement de la Force Barkhane vers les Etats côtiers ouest-africains. Le principal défi pour le Bénin sera le suivant : comment tirer le meilleur parti de la présence française/occidentale au Bénin pour que celle-ci ne devienne, d’une part, la raison essentielle d’attraction de la foudre terroriste sur le Bénin et, d’autre part, la source de la paralysie des forces armées béninoises. Derrière ce défi, se dresse en filigrane un autre : celui de la décolonisation de l’appui militaire de la France aux armées ouest-africaines dans le cadre de cette lutte anti-terroriste.

[1] Même si l’intention n’y est pas explicitement indiquée, le communiqué de l’Etat-Major Général des Forces Armées du Bénin N°21-04-100/EMG/DOPA/B3RCM/SA du 28 décembre 2021 portant recrutement de 450 jeunes des départements de l’Alibori et de l’Atacora au profit Forces Armées béninoises  ne manque pas d’appeler l’attention sur le fait qu’il pourrait s’agir d’un recrutement ciblant des jeunes citoyens originaires des localités sous menaces terroristes. En effet, ces départements comportent les localités riveraines du parc W du Bénin et du parc de la Pendjari. Ce recrutement répondrait à une philosophie : l’enrôlement des localités ciblées permettrait un meilleur maillage socio-anthropologique et linguistique de l’arène terroriste en train de se construire dans le Nord du pays. Des documents audios whatsapp circulent dans lesquels un citoyen tourne en dérision le Procureur Spécial de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) du Bénin, suppliant celui-ci d’aller arrêter et mettre en prison les terroristes qui sévissent au Nord, puisqu’il avait fait arrêter, condamner et détenir en prison « une terroriste sur le pont de Porto-Novo » et un autre « terroriste sur le pont de Togoudo alors qu’il revenait de ses cours à l’Université d’Abomey-Calavi ». Pour qui connaît le contexte béninois, allusion est ainsi faite à Mme Réckya Madougou et M. Joël Aïvo, des personnalités politiques condamnées respectivement à 20 ans et 10 ans de prison par la CRIET, la première pour financement du terrorisme et le second pour complot contre la sûreté de l’Etat et blanchiment de capitaux. Un autre citoyen dans un autre document audio whatsapp suggère aux députés du pays et à toutes les autorités du pays de proposer chacun cinq (5) de leurs proches pour être candidats aux recrutements des forces de sécurité et de défense pour aller combattre les terroristes au Nord-Bénin. Il dénonce ainsi le fait que les autorités veulent par ces recrutements aller « sacrifier les enfants des pauvres » sur le champ de lutte contre les terroristes alors que selon lui, lors des recrutements les plus prestigieux, il n’est pas toujours certains que « les enfants des pauvres » soient recrutés.

[2] Dame « Parfaite » s’autoproclame « Dieu ». Elle a créé une église dite Eglise catholique de Banamè. Pour une brève histoire du phénomène, voir Emmanuelle Kadya Tall. « Dieu, le Pape et la Sainte Vierge: un mouvement de contestation de l’Eglise

catholique au Bénin », in Emmanuelle Kadya Tall, Marie Emmanuelle Pommerolle, Michel Cahen (dir.), Mobilisations collectives en Afrique : ça suffit! , Londres, Brill, 2015, pp. 91-111, 2015.

[3] Voir par exemple la lettre en date du 06 septembre 2021 d’un ex-prêtre de l’église au Président de la République, M. Jean Claude Assogba, URL : http://news.acotonou.com/h/136844.html, consultée le 15 février 2022. C’est en effet en réaction à cette lettre que « dame Parfaite » fît sa déclaration à propos du Président de la République. Pour un verbatim des propos de « Parfaite », voir DBM Médias, « Offense à Talon : Qui pour stopper Parfaite de Banamè », URL : https://dbmedias.com/offense-a-talon-qui-pour-stopper-parfaite-de-baname/, consultée le 15 février 2022.

[4]« Recrudescence d’homicides, de meurtres et de suicides dans l’Atacora : plus de 50 morts en 8 mois », Le Matinal, URL : https://groupelematinal.com/recrudescence-dhomicides-de-meurtres-et-de-suicides-dans-latacora-plus-de-50-morts-en-8-mois/, consulté le 13 février 2022.

[5] Marc Mensah, « Vindicte populaire à Parakou. Confondu à un braqueur, un étudiant brûlé vif », URL : https://www.24haubenin.info/?Confondu-a-un-braqueur-un-etudiant-brule-vif, consultée le 13 février 2022.

[6] https://matinlibre.com/2022/02/03/extremisme-violent-et-transhumance-au-nord-du-benin-les-usa-et-le-mediateur-sensibilisent-les-populations/, consulté le 15 février 2022.

[7] Maurice Obadia, L’économie désargentée: introduction à l’économie de la relation, Paris, Privat, 1983, 294 p.

[8] Voir la loi n° 2021 – 14 du 20 décembre 2021 portant code de l’administration territoriale en République du Bénin.

[9] Message radio du ministre béninois de la Décentralisation et de la Gouvernance Locale N°1049/MDGL/DC/SGM/SA en date du 02 décembre 2021 relatif à la suspension de l’arrêté du Préfet du Littoral « portant réorganisation circulation véhicules transport marchandises et usagers marché en direction Dantokpa stop ».

[10] Expedit Ologou, “Democracy Capture in Benin”, in Center for Democratic Development-Ghana (ed.), Democracy Capture in Africa, CDD-Ghana Editions, Accra, 2021, pp. 33-56.

Télécharger l’article au format PDF

S'abonner à notre Newsletter

Rejoignez notre mailing list pour recevoir les informations du CiAAF

Vous êtes abonné!