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L’ordre mondial n’est plus ce qu’il était. Il sera encore moins ce qu’il est. La pandémie du Covid-19 secoue le monde depuis quelques mois, frappe toutes les sociétés, interpelle et arrête tout. Ce séisme sanitaire sans précédent, bouleversant l’équilibre international, produit et produira encore des conséquences et des fractures politiques, économiques, sociales, stratégiques, etc. de grande ampleur. La crise sanitaire entraine, comme la seconde guerre mondiale en 1945, comme la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique en 1989[1], peut-être une involution ou une évolution, certainement une révolution dans l’ordre international qui, à jamais sera modifié, à en croire Henry Kissinger. « La réalité est qu’après le Coronavirus, le monde ne sera jamais plus comme avant. (…). Si l’impact sur la santé des individus sera, espérons-le, temporaire, les bouleversements politiques et économiques que la pandémie provoque pourraient être sensibles durant plusieurs générations »[2]. L’irruption de ce virus, quelle que soit la nature de son origine, fait en effet planer l’ombre d’une métamorphose, d’une transformation radicale de l’ordre international, tel qu’il a été construit après le second conflit mondial, un ordre d’abord bipolaire jusqu’à la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, puis unipolaire depuis la fin de la guerre froide jusqu’à l’aube du XXIème siècle. Mais la question n’est pas si simple.

A dire vrai, s’interrogeant sur les éléments déterminant la marche du monde et des relations internationales, sur la configuration de la société internationale, sur la manière dont se présentent le jeu des acteurs et les enjeux dans le système mondial, on s’aperçoit très vite qu’il s’agit beaucoup plus d’un agencement informe, que d’un ordonnancement bien défini. Pour autant, de façon indéniable, la chute du Mur de Berlin a fait disparaitre la bipolarité ; le monde n’était plus bipolaire, il est devenu unipolaire, puis uni-multipolaire ou inter-polaire ; peut-être multipolaire.

Au fond, on oppose bien souvent la claire lisibilité du monde du Mur de Berlin, celui de la guerre froide, avec l’intelligibilité peu maitrisée de l’état actuel de la planète. L’ordre bipolaire se caractérisait par une domination de la scène internationale par deux superpuissances, à la fois en raison de leur invincibilité et par la nécessité de passer par elles pour régler toute question internationale d’importance : les Etats-Unis, et leurs alliés (Bloc de l’Ouest) d’un côté ; l’Union soviétique et ses alliés (Bloc de l’Est) de l’autre. La chute du Mur de Berlin, occasionnant l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, a hissé les USA au rang d’unique superpuissance, de surpuissance, d’hyperpuissance. Avec un unilatéralisme prononcé.  En effet, à partir de la chute du Mur, les Etats-Unis ont voulu non seulement contrôler le monde, mais surtout le remodeler, lui donner une nouvelle forme. Cette ambition, traduite et présente dans la stratégie nationale de sécurité consiste à imposer au monde le modèle politique, constitutionnel et économique américain, c’est-à-dire, l’expérience d’une grande démocratie multi-ethnique. Dans ce monde unipolaire occasionné par l’effondrement du rival soviétique, les USA détiennent le pouvoir militaire, avec le plus grand arsenal de tous les temps, un budget de la défense représentant près de la moitié des dépenses militaires mondiales, une percée technologique continue, le pouvoir économique et culturel, le contrôle des ressources pétrolières, etc. L’unilatéralisme américain a été exacerbé par la guerre en Irak en 2003, une intervention au cœur des controverses entre les USA et les autres membres de la société internationale. La nature du système international et les possibilités d’action internationale dans le monde d’après-guerre froide amènent les USA à ne pas sacrifier leur intérêt national, à la recherche d’intérêts communs dans un ordre global. Il y a donc une sorte de messianisme américain, c’est-à-dire la foi dans une harmonie finale, libérale, appuyée sur les recettes de l’histoire américaine[3], à savoir Etat de droit et vaste marché international.

Cependant, plusieurs facteurs ont limité ou atténué l’unilatéralisme américain, notamment la restauration sur la scène internationale de la Russie, héritière de l’Union soviétique (une résurrection stratégique et militaire marquée notamment par la guerre en Syrie, le développement de l’arsenal et de la technologie militaires), le radicalisme islamique, la nécessité d’instruments de gouvernance mondiale pour régler les questions essentielles à la survie de l’humanité, et surtout, la montée en puissance de la Chine, etc., sans nul doute, le phénomène central dans les relations internationales au XXIème siècle… Lire la suite

[1] Voir, Hélène Carrère D’Encausse, La Gloire des nations ou la fin de l’Empire soviétique, Paris, Fayard, 2014, 492 p.

[2] Henry Kissinger, in, https://www.lopinion.fr/edition/wsj/henry-kissinger-pandemie-coronavirus-modifiera-a-jamais-l-ordre215660?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=barre-partage-site, consulté le 30 avril 2020 à 16h50.

 

[3] Lire, Yves-Henri Nouailhat, Les Etats-Unis et le monde au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1997, 368 p.

 

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