Le Sahel reste l’un des grands questionnements de l’Afrique lorsqu’on a fini d’évoquer les dégâts collatéraux immédiats de la crise du Covid-19. En effet, la situation sécuritaire dans cette partie désertique du continent était déjà alarmante dans le temps pré-covidien. Le pouvoir de l’extrémisme violent y était devenu si destructeur sur les Etats et les sociétés que les débats relatifs aux causes et moyens d’endiguement du phénomène ont emprunté toutes les voies possibles[1].
On en était aux atermoiements du G5 Sahel et de ses partenaires internationaux, aux critiques complotistes des sociétés civiles africaines à l’égard principalement de la France quand le virus du Covid-19 surgit en majesté. Ce surgissement du virus détourna l’attention des Etats sahéliens et des puissances engagées dans la région vers les préoccupations urgentes de l’heure, abandonnant ainsi, au moins en partie[2], le Sahel à ceux qui nourrissent le vœu proclamé d’en devenir les maîtres par l’instauration d’un califat[3]. Ainsi, entre la terreur du Covid-19 et la terreur de l’extrémisme violent préexistant, le citoyen et l’Etat sahéliens semblent pris dans un étau. D’où la question suivante : entre le virus Covid-19 et le terroriste, qui sème le plus la terreur ? Qu’est-ce que le Covid-19 fait au/du terrorisme au Sahel ? Et qu’est-ce que le terrorisme fait du Sahel et de la crise du Covid-19 ?
C’est peu de dire que le Covid-19 vient en rajouter à la quadrature du cercle sahélien. Le Sahel et le Covid-19 sont les deux éléments constitutifs d’une conjonction sécuritaire critique : insécurité due au terrorisme d’une part, et insécurité sanitaire due au Covid-19, d’autre part. Il est à craindre que cette conjonction critique ne reste pas à l’étape d’une conjoncture critique, les risques qu’elle devienne la structure critique de cette partie du continent étant très élevés. Autant dire d’emblée que l’analyse du terrorisme au Sahel en temps covidien impose que l’on marche sur des « sables mouvants[4] » dont les oasis de solutions qui les entourent semblent pour l’heure tarir.
En fait, la réflexion sur la situation sahélienne à l’ère covidienne fait écarteler l’analyse entre les bornes des évidences et des probabilités. Les évidences résident dans le fait que la crise du Covid-19 n’a pas mis un frein à la perpétration d’actes terroristes ; au contraire elle a contribué à l’aggravation de la situation sécuritaire dans la région (I). Les probabilités résident dans les conséquences à moyen et long termes de la crise sanitaire sur la situation sécuritaire dans la région (II).
I- Les évidences
Les premiers mois de la propagation du Covid-19 dans les Etats du Sahel révèlent une sorte de coexistence entre la crise sanitaire et la crise sécuritaire. L’arrivée de l’une n’a pas effacé l’autre. Il en ressort donc que l’activité terroriste tient bon malgré la pandémie ; n’en déplaise au Secrétaire général des Nations Unies et au Pape François dont les appels à un cessez-le-feu mondial et immédiat[5] semblent tomber dans des oreilles de sourds. Après avoir exposé les signaux de ce statu quo de l’insécurité dans le Sahel (A), nous remarquerons ensuite que la pandémie du Covid-19 met en place les conditions favorables à une aggravation de l’intensité de la violence (B).
A- Les signaux du statu quo
Le statu quo s’observe à travers une double permanence : celle de la violence, c’est-à-dire la poursuite des attaques malgré le temps covidien (1) et celle des fondamentaux du terrorisme sahélien, c’est-à-dire des éléments caractéristiques de ce phénomène (2).
I. La permanence de la violence
Le rapport du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies sur la situation – au premier trimestre 2020 – de la crise malienne, remarque une montée de la violence dans le nord et le centre du pays lors des trois premiers mois de l’année 2020. Le nombre de victimes civiles de l’insécurité[6] a augmenté, passant de 200 décès pour le dernier trimestre 2019 à 249 décès, 119 blessés et 72 enlevés au 20 mars 2020. Le nombre de déplacés internes a également grimpé, passant de 199 385 en novembre 2019 à 218 000 en mars 2020[7]. Pourtant, cette période équivaut à celle de la montée au plan mondial du Covid-19. Si ces chiffres ne permettent pas de conclure que cette pandémie est sans conséquence sur le terrorisme au Sahel[8], ils permettent tout au moins d’avancer l’hypothèse que la psychose générale provoquée par ce virus n’a pas atténué l’ardeur des groupes djihadistes dans la région. Car malgré la menace sanitaire, la menace terroriste ne s’est pas calmée. Bien au contraire ! Au Mali comme au Niger et au Burkina-Faso, des attaques terroristes continuent de se perpétrer. Les signaux du statu quo peuvent donc s’observer dans cette continuité des attaques. Des combats meurtriers entre groupes djihadistes et forces de défense nigériennes dans le Tillabéry[9] aux attaques meurtrières de Bourzanga au Burkina Faso[10], en passant par le massacre d’une vingtaine de soldats maliens dans la région de Gao[11], l’activité terroriste est toujours en marche[12]. Sur le deuxième trimestre de l’année 2020, le Secrétaire général des Nations Unies note d’ailleurs une augmentation des attaques contre la MINUSMA et les forces armées maliennes[13].
Cette permanence de la violence peut se comprendre par le fait que les zones de conflits sont pour l’instant « à l’abri » de la pandémie…Lire la suite
[1] Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Aide internationale et “guerre globale contre le terrorisme” en Afrique. Des défis renouvelés », Revue internationale des études du développement, n° 241, 2020/1, pp. 41-63 ; Christopher Griffin, « Operation Barkhane and Boko Haram: French Counterterrorism and Military Cooperation in the Sahel », Small Wars & Insurgencies, vol 27, 2016/5, pp. 896-913; Wilfrid T. Ahouansou, La coopération internationale contre le terrorisme au Sahel, mémoire de Master en Droit international et Organisations internationales, Faculté de Droit et de Science politique, Université d’Abomey-Calavi, année académique 2012-2013, 155 p. ; Lori-Anne Théroux-Bénoni, Baba Dakono, « Les groupes extrémistes violents attisent-ils les conflits locaux dans le Sahel? », ISS Today, 14 octobre 2019, URL : https://issafrica.org/fr/iss-today/les-groupes-terroristes-attisent-ils-les-conflits-locaux-dans-le-sahel, consulté le 14 juin 2020; Denis Retaillé, Olivier Walther, « Guerre au Sahara-Sahel : la reconversion des savoirs nomades », L’Information géographique, 2011/3, vol. 75, pp. 51-68; Yahia H. Zoubir, « The United States and Maghreb–Sahel Security », International Affairs, n° 85, 2009, pp. 977–995.
[2] On note en fait une certaine poursuite de l’action des forces internationales dans la région. On peut citer par exemple la mort annoncée par les autorités françaises, de l’émir d’AQMI Abdelmalek Droukdel qui serait tué par la force Barkhane lors d’une opération au nord du Mali le 3 juin 2020.
[3] La typologie des acteurs terroristes intervenant dans la région devient de moins en moins simple, les reconfigurations et les recompositions dans le champ terroriste sahélien étant très fluides. Voir Mélanie Dubuy, « La spécificité de la menace terroriste au Mali : quelles conséquences internationales ? », IRENEE / Université de Lorraine, « Civitas Europa », 2013/2 N° 31, pp 35-57.
[4]Méryl Demuynck, Julie Coleman, « Les sables mouvants du paysage terroriste sahélien », URL : https://icct.nl/publication/les-sables-mouvants-du-paysage-terroriste-sahelien/ , consulté le 05 mai 2020.
[5] Organisations des Nations Unies, « Face au Covid-19, ennemi implacable, le chef de l’ONU appelle à un cessez-le-feu », URL : https://www.un.org/sg/fr/node/246261, consulté le 19 avril 2020 ; Vatican News, « François appelle à un cessez-le-feu global et immédiat », 29/09/2020, URL : https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2020-03/francois-appelle-a-un-cessez-le-feuglobal-et-immediat.html, consulté le 19 avril 2020.
[6] Le rapport parle de « victimes d’attaques de groupes terroristes, de violences intercommunautaires, d’engins explosifs improvisés et de banditisme ».
[7] Rapport S/2020/223 du Secrétaire général de l’ONU sur la situation au Mali, téléchargeable sur le site de la Minusma : URL : https://minusma.unmissions.org/rapports, consulté le 9 avril 2020.
[8] En effet, les Etats du Sahel n’ont été touchés par la pandémie que vers la fin du trimestre. Le Burkina, premier Etat touché a annoncé son premier cas le 9 mars 2020. Le Niger a annoncé son premier cas le 19 mars 2020 et le Mali l’a enregistré le 25 mars 2020.
[9] France TV Info avec AFP, « Le Niger pris dans la spirale des attaques jihadistes », 06/04/2020, URL : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/le-niger-pris-dans-la-spirale-des-attaques-jihadistes_39022131.html, consulté le 19 avril 2020.
[10] Le Faso.net, « Centre-Nord : 2 militaires portés disparus et 4 blessés dans une attaque à Bourzanga », 04/04/2020, URL : https://www.lefaso.net/spip.php?article95978, consulté le 19 avril 2020.
[11] RTBF, « Mali : au moins 20 soldats tués par des djihadistes, selon les élus locaux », 06/04/2020, URL : https://www.rtbf.be/info/monde/detail_mali-au-moins-20-soldats-tues-par-des-djihadistes-selon-des-elus-locaux?id=10476569, consulté le 18 avril 2020.
[12] Radio France Internationale, « Mali : deux attaques attribuées à des jihadistes dans la régions de Kayes », 13/04/2020, URL : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200413-mali-deux-attaques-attribuees-a-des-jihadistes-dans-la-region-de-kayes, consulté le 19 avril 2020 ; Le Faso.net, « Djibo : 6 terroristes neutralisés par les forces de défense et de sécurité », 12/04/2020, URL : https://www.lefaso.net/spip.php?article96142, consulté le 18 avril 2020 ; Le Faso.net, « Lutte contre le terrorisme : une quinzaine de terroristes neutralisés à Toéni », 011/04/2020, URL : https://www.lefaso.frspip.php?article95900, consulté le 18 avril 2020.
[13] Rapport S/2020/476 du Secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali, présenté le 2 juin 2020.
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