Ecrit par : Emmanuel Odilon KOUKOUBOU et Armel DOSSOU-KAGO

Installée dans un climat de tension politique, la huitième législature de l’Assemblée nationale devra faire face à un lourd passif laissé par la septième. Un passif fait de nombreuses lois controversées, des lois critiquées par plusieurs couches de la société, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou autres. En effet, au regard des lois polémiques votées par la septième législature, beaucoup de Béninois entrevoyaient la huitième comme une législature de redressement ou de correction. Peut-être, ceux-ci ne verront-ils pas leur rêve se réaliser. Pour cela, il eut fallu que l’opposition – qui l’avait en projet – y soit majoritaire. Mais elle n’a même pas eu la chance de prendre part aux élections législatives du 28 avril 2019[1]. Toutefois, qu’elle le veuille ou non, la législature Vlavonou[2] fera face à cette demande de correction législative. Elle aura le choix d’y répondre positivement, négativement ou par l’indifférence. Mais quelles sont ces lois qui posent problème et qui méritent d’être touchées ? Que faut-il y toucher ? Et comment les toucher ? Le CiAAF a entrepris de répondre à ces questions à travers une série de productions qui reviendra dans les prochaines semaines sur chacune desdites lois. Dans ce papier introductif, nous les évoquons sommairement en trois temps : celles qui peuvent être révisées, celles qui peuvent ne pas l’être et celle qui peut l’être malgré tout.

Ces lois contestées qui peuvent être révisées

Si nous pensons que ces lois peuvent être révisées, c’est parce qu’il y a comme une sorte d’unanimité autour de l’impasse dans laquelle elles ont conduit le pays. Il s’agit de la Loi n°2018-23 du 17 septembre 2018 portant Charte des partis politiques en République du Bénin et de la Loi n°2018-31 du 9 octobre 2018 portant Code électoral en République du Bénin. Le principe de leur révision est acquis de part et d’autre, aussi bien dans le camp présidentiel comme dans l’opposition. Le président de la République a d’ailleurs invité le parlement à procéder à « la relecture responsable »[3] de ces lois « pour les actualiser en tenant compte des réalités de l’évolution de notre pays »[4]. La difficulté ici, c’est que personne ne sait ce que le chef de l’Etat met dans la formule « relecture responsable ». La mouvance présidentielle comme l’opposition appellent à réviser ces textes, mais on ne sait avec exactitude sur quels points les uns et les autres souhaitent que la révision se fasse. Trois points ont été au cœur de la crise préélectorale : le quitus fiscal, le cautionnement et le seuil de 10% de suffrages au plan national pour être éligible à enlever des sièges à l’Assemblée nationale. A ces deux textes, il faut ajouter la Loi n° 2001-36 du 14 octobre 2002 portant Statut de l’opposition dont le président de la République souhaite également la relecture[5]. C’est peut-être l’option trouvée par le pouvoir pour tenter de contenter une opposition poussée hors du parlement. Mais que faut-il toucher dans les trois lois susmentionnées ? Nos productions prochaines vont répondre à cette question.

Ces lois contestées qui peuvent ne pas être révisées

Nous adoptons ici une formule réservée pour dire que ces lois peuvent être révisées ou pas au cours de cette huitième législature. En fait, tout dépend de la réponse que le parlement voudra réserver aux demandeurs de la relecture. En effet, la volonté de la révision de ces textes n’est pas ressentie par le pouvoir. Ces lois sont d’ailleurs advenues pour entériner ou accompagner la politique gouvernementale. Le parlement n’ayant pas changé de couleur malgré les élections, la révision de ces lois dépendra au préalable de la révision de la politique gouvernementale. Les griefs contre ces lois sont portés par les acteurs de l’opposition politique, des forces sociales ou des couches de la société civile.

Parmi ces textes, on peut citer la Loi n°2018-34 modifiant et complétant la Loi n°2001-09 portant exercice du droit de grève en République du Bénin qui limite drastiquement le temps de cessation de travail à dix jours par année, qui retire le droit de grève entre autres aux agents de santé, etc. On peut également citer la Loi n°2018-35 modifiant et complétant la Loi n°2015-18 portant Statut général de la fonction publique et la Loi n°2017-05 portant embauche, placement de main d’œuvre et résiliation du contrat de travail. Ce sont deux textes qui rendent précaire l’emploi des jeunes et sont critiqués par plusieurs acteurs sociaux. La question des collaborateurs extérieurs fait également partie des griefs soulevés contre le Statut général de la fonction publique.

Dans le secteur de la justice, l’on espère aussi une relecture d’au moins quatre lois. D’abord, la Loi n°2018-15 portant Code pénal en République du Bénin, qualifiée de « liberticide »[6] et dont le vote est perçu par certains comme un « braquage constitutionnel »[7].  Plusieurs de ses dispositions sont critiquées notamment en ce qui concerne les attroupements non armés, l’atteinte aux symboles, valeurs et représentations de l’Etat, etc. Ensuite, la Loi n°2018-13 du 2 juillet 2018 modifiant et complétant la Loi n°2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée et création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme. C’est une loi dont l’Union nationale des Magistrats du Bénin (UNAMAB) a critiqué plusieurs dispositions, notamment la création de la CRIET qui selon elle, « engendre la fragmentation de la justice »[8]. C’est aussi une loi dont la Cour constitutionnelle a elle-même reconnu certaines dispositions contraires à la Constitution[9]. Puis, la Loi n°2018-02 du 2 juillet 2018 modifiant et complétant la Loi organique n°94-027 du 15 juin 1994 relative au Conseil supérieur de la magistrature. Il s’agit d’une loi qui, selon l’UNAMAB, entérine « l’immixtion des politiques » dans le Conseil supérieur de la magistrature[10]. Enfin, le Statut de la magistrature. C’est une loi souhaitée par les magistrats depuis des lustres, qui a été votée en janvier 2018 avec de nombreux avantages et le retrait du droit de grève, puis abrogée sans explication en septembre de la même année.

L’autre loi votée par la septième législature et qui mérite quelques précisions, c’est la Loi n°2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique en République du Bénin. Servant désormais de prétexte à l’arrestation de plusieurs citoyens y compris de journalistes, elle est au cœur d’une réelle confusion avec la Loi n°2015-07 du 20 mars 2015 portant Code de l’information et de la Communication en République du Bénin. Ce que celui-ci accorde comme droit aux hommes des médias – des peines non privatives de libertés, l’interdiction de la garde à vue… –, celui-là le leur retire sournoisement. Quelques retouches s’avèrent donc indispensables. Mais que faut-il toucher dans ces différentes lois susmentionnées ? Nos productions prochaines vont répondre à cette question.

Cette loi qui peut être révisée malgré tout

Ce n’est pas n’importe laquelle des lois. C’est celle qui est au-dessus de toutes, de tous et de tout. C’est la Loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin. Une Constitution devenue fétiche dont les moindres tentatives de retouche, des plus tendancieuses aux plus sages, ont connu un même sort : l’échec. Mais, l’ère de l’invulnérabilité de cette loi fondamentale est peut-être désormais révolue. Depuis 30 ans, la Constitution du 11 décembre 1990 n’a jamais été aussi vulnérable, proche de perdre sa virginité. Le parlement censé la déflorer est sans opposition. La Cour constitutionnelle qui servira de dernier recours est présidée par celui qui, Ministre de la justice, avait conduit le premier projet de révision constitutionnelle sous le régime actuel, un projet rejeté par le parlement grâce à une minorité de blocage en avril 2017. C’est dire que les conditions sont réunies pour que la révision de la Constitution soit possible. Mais elle aura lieu sans un consensus avec l’opposition hors parlement. D’ailleurs, la même Cour constitutionnelle a déjà remis en cause la question du consensus autrefois érigé en principe à valeur constitutionnelle[11]. Les barrières sur le chemin de la révision constitutionnelle semblent donc sautées l’une après l’autre. Le boulevard semble désormais ouvert. Mais faut-il toucher à la Constitution ? Si oui, dans quelles conditions ? Et quoi toucher ? Nos productions prochaines vont répondre à ces questions.

[1] La huitième législature est issue d’une élection à laquelle l’opposition n’a pas pu prendre part. Seulement deux partis de la mouvance présidentielle y sont représentés : le Bloc républicain et l’Union progressiste.
[2] Du nom de son président Louis Vlavonou.
[3] Message à la nation du président de la République Patrice Talon suite au processus électoral d’Avril 2019, Cotonou, le 20 mai 2019.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Communiqué de presse du Parti pour la Libération du Peuple du 11 juin 2018.
[7] Interview de Guy Mitokpè accordée à la presse suite au vote du code électoral.
[8] Point de presse de l’UNAMAB suite à son assemblée générale extraordinaire du 26 octobre 2018. Voir un extrait sur http://www.google.com/amp/s/beninwebtv.com/amp/s/2018/10/benin-la-creation-de-la-criet-engendre-la-fragmentation-de-la-justice-selon-lunamab/, consulté le 10 juin 2019.
[9] Par la décision DCC 19-055 du 31 janvier 2019, la Cour constitutionnelle a déclaré anticonstitutionnel l’alinéa 2 de l’article 12 de ladite loi.
[10] Bénin Web TV, Bénin – Conseil supérieur de la magistrature : l’UNAMAB rejette l’immixtion des politiques, http://www.google.com/amp/s/beninwebtv.com/blog/amp/2018/06/29/benin-conseil-superieur-de-la-magistrature-lunamab-rejette-limmixtion-des-politiques/, consulté le 10 juin 2018
[11] DCC 06-074 du 8 juillet 2006 de la Cour constitutionnelle.

 

 

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