Deux clarifications paraissent indispensables à l’entame de ce travail : celles des concepts de société civile et de transparence des élections. Les clarifier et les expliquer à la lumière de l’expérience béninoise apparaissent comme un exercice préalable devant aider à recentrer le cadre de ce travail. En effet, la société civile est un concept particulièrement flou et polysémique[1]. Il est ambigu[2] et allusif[3]. Danièle Lochak le qualifie même de gadget[4]. En effet, la notion de société civile a connu des mutations dans sa conception depuis son apparition dans l’antiquité grecque. Ses origines remontent au philosophe grecque Aristote qui parlait de « kiononia politikè » pour désigner une assemblée sans hiérarchie dominante. Cette expression grecque qui est reprise plus tard en latin : « societas civilis » signifie « société citoyenne ». Dans cette conception de la société civile, il n’existait pas de différence véritable entre les termes Etat et société. Mais ces deux notions s’opposeront fondamentalement au cours des XVIIème et XVIIIème siècle. A cette époque, la société civile était conçue comme le domaine de l’économique et du privé. Elle était ainsi opposée à l’Etat qui était considéré comme la société politique. La société civile avait donc vocation à défendre les intérêts privés des individus qui la constituent pendant que l’Etat était conçu comme le garant de l’intérêt général.

Après cette deuxième perception de la société civile, le concept est réapparu dans les années 1970 et 1980 après une longue période d’absence. Cette fois-ci, le concept présente également une nouvelle forme. Devenue à la limite, une sorte de mode, tout le monde l’utilise sans pour autant chercher à le définir, voire sans connaitre véritablement ce qu’il signifie. Pour certains, la société civile est devenue un tiers-secteur au milieu de l’Etat, une société politique qui a tendance à brimer et le monde de l’économie et du marché qui défend ses propres intérêts. La société civile n’est donc plus considérée comme le cadre de la défense des intérêts individuels, mais plutôt comme un cadre de défense des intérêts collectifs. L’intérêt collectif peut ici être quand même un intérêt particulier, ou une somme d’intérêts individuels. C’est le cas des associations corporatistes ou des syndicats qui défendent les intérêts particuliers de leurs membres. L’intérêt collectif peut également revêtir une forme beaucoup plus générale. C’est le cas des associations de défense des droits humains et des libertés fondamentales.

Dans cette communication, nous faisons l’option délibérée d’éluder le débat théorique autour de la société civile (C’est déjà le thème d’un axe de ce colloque). Mais pour mieux circonscrire le champ de notre travail, nous avons plutôt cherché à cerner la conception de la société civile selon l’expérience et la pratique du Bénin. Au Bénin, la société civile est un concept extrêmement flou, un véritable fourre-tout qui regroupe de nombreuses catégories d’associations. Le rapport sur l’état des lieux de la situation de la société civile au Bénin réalisé par le Centre international d’Etudes pour le développement local en Octobre 2004 identifie quatre familles d’acteurs de la société civile à savoir : les associations locales de ressortissants, les syndicats et les mouvements d’étudiants, les associations d’obédience religieuse, les organisations non gouvernementales et les organisations paysannes et autres associations à vocation coopérative. Ce rapport définie la société civile béninoise comme « un tiers secteur » et voit en elle « un contre-pouvoir qui se distingue du secteur privé lucratif et du secteur public »[5].

Depuis la Conférence nationale des forces vives de février 1990, les organisations de la société civile se sont multipliées au Bénin. Certaines d’entre elles s’investissent dans les questions de gouvernance, de démocratie et des droits de l’Homme. Celles-ci jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans la transparence des élections au Bénin.

La notion de transparence peut paraitre bien trop ambitieuse sur un continent africain où il semble établi dans l’imaginaire populaire qu’un président en exercice n’organise pas les élections pour les perdre[6]. A ce niveau, le Bénin a réussi néanmoins par trois fois en vingt-sept ans d’expérience démocratique, à faire échouer le pouvoir en place. D’abord en 1991 où le Président Mathieu KEREKOU a été battu dans les urnes par Nicéphore SOGLO. Ce dernier sera à son tour battu dans les urnes en 1996 par Mathieu KEREKOU. Enfin, en 2016, c’est également l’opposition qui a gagné les élections présidentielles alors même que le président sortant Boni YAYI était fortement engagé dans la campagne aux côtés de son candidat Lionel ZINSOU. Loin de constituer l’unique facteur de transparence, il s’agit néanmoins d’une réelle unité de mesure de cette transparence.

Mais il est incongru de penser que toutes les élections organisées au Bénin depuis 1990 sont sans tache. En 2001 par exemple, le candidat Nicéphore SOGLO qualifié pour le second tour s’est désisté au dernier moment, mettant en doute la transparence dans l’organisation des élections[7]. Les élections municipales, communales et locales organisées en 2008 ont été si largement contestées que le contentieux électoral n’a pas pu être vidé par la Cour suprême avant l’organisation de nouvelles élections sept ans plus tard[8]. La réélection au premier tour de Boni YAYI en 2011 est restée dans l’imaginaire de beaucoup de Béninois comme une élection entachée d’irrégularités. C’est dire qu’en parlant de transparence, nous ne prétendons pas que le Bénin dispose d’un processus électoral exempt de tout reproche. Néanmoins, il est possible de remarquer une certaine recherche constante de transparence qui se manifeste à chaque élection. Si l’ampleur du contentieux électoral constitue un moyen de vérification de la transparence des élections, le scrutin présidentiel de 2016 – la dernière en date – apparait comme la plus transparente du processus démocratique béninois en ce sens qu’elle n’a souffert d’aucune contestation.

Guidé par sa recherche de transparence des élections, le Bénin a créé au milieu des années 1990, la Commission électorale nationale autonome (CENA). Il s’agissait d’une invention béninoise qui sera reprise dans la plupart des pays africains. La nouvelle structure prend ainsi au ministère de l’Intérieur considéré comme une instance trop soumise au Chef de l’Etat, le rôle de l’organisation des scrutins électoraux. La Cour constitutionnelle du Bénin a validé cette innovation politique en estimant que « la création de la CENA, en tant qu’autorité administrative indépendante, est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans l’administration de l’Etat, un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au gouvernement, aux départements ministériels et au parlement, pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques, en particulier des élections honnêtes, libres et transparentes »[9]. La Cour ajoute que cette initiative permet « d’une part d’instaurer une tradition d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer la transparence des élections, et d’autre part de gagner la confiance des électeurs et des partis et mouvements politiques »[10].

D’abord une commission ad’ hoc puis une institution permanente de la République, la CENA a connu de nombreuses mutations dans sa composition depuis sa création. Les organisations de la société civile y ont souvent été représentées, même si leur nombre a toujours été minime au regard des quotas réservés aux politiciens. Mais depuis le vote en 2013 du Code électoral qui rend désormais permanente la CENA, les organisations de la société civile n’y ont plus droit de cité. Cela n’a toutefois pas faibli leur action. Elles ont renforcé leur rôle de pression et de contrôle avant, pendant et après les élections. Il s’agit donc d’une action de recherche de transparence qui a évolué en s’améliorant avec le temps (I). Ladite action entraine des impacts qui touchent aussi bien le domaine politique que social (II).

  • Une transparence constamment recherchée

L’histoire de la Commission électorale nationale autonome du Bénin peut s’observer en deux temps : la période des commissions ad’ hoc et celle de la permanence de l’institution depuis 2013. Ces deux périodes correspondent également à l’histoire des rapports de la société civile avec cette institution : elle avait son représentant au cours des commissions ad’ hoc ; elle est absente de la commission permanente. Son insertion dans la composition des CENA ad’ hoc répondait au souci de garantir la transparence des élections grâce à l’impartialité dont devait faire preuve la société civile. Mais son action au sein de la Commission est diversement appréciée.

  • Une présomption d’impartialité

La composition des commissions électorales ad’ hoc du Bénin a répondu à une même philosophie dans sa structuration. Elle a toujours été dominée par les hommes politiques. Et c’est d’ailleurs l’une des critiques qui lui ont souvent été faites. La majorité des sièges a toujours été réservée aux acteurs politiques suivant la configuration politique du parlement. Les acteurs politiques étant des partisans, il est donc perçu l’intérêt d’intégrer dans la composition de la Commission électorale, une catégorie d’acteurs impartiaux capables de résister aux tentatives de corruption et d’apporter un regard objectif aux débats au sein de la commission. C’est ainsi que la société civile a souvent été identifiée pour siéger au sein de la CENA. C’est donc une présomption d’impartialité qui est à la base de cette option. Et le terme présomption prend tout son sens ici en ce sens que l’impartialité des personnes désignées pour faire partie de la CENA n’est pas toujours évidente.

En effet, le choix des représentants de la société civile au sein de la CENA a souvent fait l’objet de nombreuses tractations, voire de contestations. Ces choix ne sont généralement pas à l’abri de la manipulation et de l’influence des acteurs politiques. Dans les premières CENA ad’ hoc, le siège du représentant de la société civile était expressément attribuée par la loi elle-même à la Commission béninoise des Droits de l’Homme qui était une structure pourtant mise en place par le gouvernement. Lorsqu’en 2006, cette précision est soustraite de la loi pour permettre la désignation par la société civile elle-même de ses représentants, des manœuvres politiques ont également été observées. Que ce soit au niveau de la Commission nationale qu’au niveau des commissions départementales, la liste déposée par les acteurs de la société civile a été amputée de certains noms au profit d’autres dans le décret de nomination. Il a donc fallu la vigilance de la Cour constitutionnelle qui a déclaré nul et de nul effet ledit décret, exigeant la prise en compte de la liste signée par la société civile[11].

Aussi, faut-il ajouter que la société civile elle-même n’est pas un organe homogène. Elle est constituée de plusieurs organisations avec des orientations et des sensibilités diverses. Selon le régime en place, une organisation de la société civile peut être étiquetée suivant ses prises de position, comme proche ou opposée au pouvoir. Une telle perception offre la possibilité au gouvernement d’influencer le choix de la société civile. C’était le cas en 2011 où la désignation de Rigobert CHACHA comme représentant de la société civile au sein de la CENA a été perçue comme le résultat d’une manipulation orchestrée par le gouvernement[12].

Au regard de ce qui précède, il parait donc difficile d’affirmer avec conviction que la fonction d’impartialité prédestinée à la société civile au sein des CENA ad’ hoc a toujours été bien remplie. Entre clivages en son propre sein et manipulations politiques, la société civile ne semble pas avoir bien tenu son rôle de l’intérieur de la commission électorale. La preuve en est que malgré la désignation de ses représentants au sein de la CENA et de ses démembrements, elle ne devient pas pour autant inactive sur le front de la veille citoyenne et du contrôle des élections. Elle ne se contente pas des rapports de ses membres au sein de la commission électorale, mais envoie ses propres observateurs sur le terrain pour la renseigner sur le déroulement de l’élection et sur la réalité des chiffres. On assiste donc à une société civile à double vitesse de par son action simultanée de l’intérieur et de l’extérieur de la commission électorale. Finalement, on retrouve une société civile béninoise qui se sent beaucoup mieux à l’aise dans son rôle en dehors de la commission électorale.

  • Un mouvement d’ensemble pour l’efficacité

Loin des dissensions qui les caractérisent parfois lors de la désignation de leurs représentants à la CENA, c’est plutôt une société civile coordonnée qui observe les élections de l’extérieur. Plutôt que de disperser leurs actions, les organisations de la société civile choisissent généralement de mutualiser leurs efforts afin d’être plus performantes dans la recherche de transparence des élections. En 2015, quatre organisations majeures de la société civile intervenant sur les questions de gouvernance et de suivi des élections[13] se sont mises en Consortium pour mener une action collective[14]. Leur initiative était intitulée : « Elections législatives, municipales-communales-locales de 2015 et présidentielle de 2016 dans la paix au Bénin ». Spécifiquement pour l’élection présidentielle de 2016, elles ont été rejointes par d’autres ONG pour la mise en place d’une plateforme électorale des organisations de la société civile du Bénin[15].

Dans les deux cas, plusieurs actions ont été menées afin que les scrutins se déroulent dans des conditions qui en assurent la transparence. Il s’agit de veille citoyenne, de plaidoyer et de pression sur les autorités. Cette veille s’organise autour de la nécessité de respecter chaque étape préalable à l’élection. Plusieurs fois au Bénin, la tenue des élections a été menacée de report, soit parce que le gouvernement tarde à mettre les moyens à disposition de la Commission électorale, soit parce que le parlement a tardé à mettre en place la Commission électorale etc. Dans ces conditions, la société civile s’est souvent comportée comme une garante de la tenue des élections. Elle mène des actions de plaidoyer à l’endroit des gouvernants, organise des marches pacifiques pour réclamer la tenue des élections.

Lorsque le processus est engagé, la société civile est également présente pour veiller à sa mise en œuvre correcte. Elle commence par le suivi de la liste électorale. Longtemps critiquées et peu fiables, les listes manuelles sont remplacées depuis 2011 par une Liste électorale permanente informatisée (LEPI). L’actualisation de cette liste et sa fiabilité sont devenues une préoccupation de la société civile. En 2015, celle-ci a siégé dans un Comité de suivi institué par le Conseil d’Orientation et de Supervision de la LEPI[16]. Une fois la liste actualisée et fiable, la société civile s’intéresse également à la distribution des cartes d’électeurs[17]. Elle observe le déroulement de cette activité et exprime ses critiques et observations soit aux autorités compétentes, aux médias ainsi que plus tard dans un rapport de capitalisation[18].

Ensuite, la société civile observe les préparatifs au niveau de la CENA, met la pression sur l’institution quand elle constate des retards dans l’exécution du calendrier électoral. Elle regarde de près le recrutement et la formation des agents électoraux, observe le déroulement de la campagne électorale et dénonce les déviances constatées. Dans le cadre des élections présidentielles de 2016 par exemple, elle a dénoncé la forte activité politique voire propagandiste menée pendant plus de six mois avant l’élection par toutes les chapelles politiques[19]. Cette campagne précoce était en violation de l’article de l’article 53 du Code électorale qui dispose que la campagne électorale est déclarée ouverte par décision de la CENA et qu’elle devrait durer quinze jours et s’achever la veille du scrutin à zéro heure. La plateforme des organisations de la société civile a également dénoncé la violation de l’article 50 du Code électoral relative aux emplacements destinés à recevoir les affiches des différents candidats. La société civile a également dénoncé des cas de violences physiques et verbales, de violation de droits et des irrégularités et dysfonctionnements dans la période préélectorale.

Toujours dans cette période, la société civile agit également pour le renforcement des capacités des différents acteurs du processus électoral. Il s’agit là d’un axe important du projet « Elections dans la paix » de 2015. Des plaidoyers ont été organisés auprès de la CENA et de ses démembrements, des responsables des partis politiques, des agents des forces de défense et de sécurité afin d’attirer l’attention des uns sur l’impartialité, l’équité, la compétence, la rigueur et la neutralité qui doivent les caractériser tout au long du processus électoral et de rappeler aux autres leurs responsabilités dans la promotion des droits humains et des libertés publiques. Les acteurs des médias et les ONG d’intermédiation sociale, les associations de jeunes, d’élèves, d’étudiants, d’enseignants, de femmes et d’artisans ont également été formés à la prévention, à la pacification et à la gestion des conflits électoraux.

Aussi, les organisations de la société civile s’intéressent-ils à l’observation des élections proprement dite. A ce niveau, elles déploient des observateurs sur toute l’étendue du territoire national pour leur assurer le rapportage en temps réel des incidents constatés sur le terrain le jour de l’élection. Rien que pour l’élection présidentielle de 2016, 3050 observateurs ont été déployés par la plateforme des organisations de la société civile pour le premier tour. Ce nombre est porté à 3350 au second tour. Pour ces élections, une salle de situation électorale a été aménagée pour permettre la centralisation de toutes les informations recueillies sur le terrain par le biais des observateurs. Composée de trois chambres – technique, d’analyse et de réponse – cette salle de situation électorale a permis à la plateforme des organisations de la société civile de jouer un grand rôle de veille citoyenne et de contrôle au cours de cette élection.

Non seulement les irrégularités notées sur le terrain sont recueillies et traitées mais la plateforme a centralisé par le biais de ses observateurs, tous les résultats issus du dépouillement du vote. Au soir de l’élection, elle avait avec précision, les chiffres issus des urnes. C’était un véritable moyen de pression sur les autorités chargées de donner les résultats : la CENA et la Cour constitutionnelle. D’ailleurs, pour une première fois de son histoire, la CENA a réussi à publier les grandes tendances de l’élection au lendemain du vote. De la comparaison entre les chiffres centralisés par les acteurs de la société civile, ceux publiés par la Commission électorale et ceux proclamés par la Cour constitutionnelle, il n’existe pas de grandes différences. On peut donc en conclure que les vrais chiffres sortis des urnes ont été publiés et que l’élection présidentielle de 2016 était crédible et transparente. L’absence de contestation enregistrée au terme de cette élection corrobore cette hypothèse.

Dans la recherche de l’efficacité, la société civile béninoise sait donc s’unir pour constituer un moyen de pression sur les autorités publiques et obtenir l’organisation efficace et efficiente des élections. Mais son action ne s’arrête pas à la pression et à la veille citoyenne. Pour aboutir à ses résultats, la société civile collabore étroitement avec les acteurs de la chaine de l’organisation des élections.

En somme, il est à retenir que si l’action de la société civile à l’intérieur de la CENA est difficile à appréhender, elle est particulièrement remarquable en dehors de la commission électorale. Dans cette posture, c’est un rôle de garant de la transparence des élections que les organisations de la société civile se sont attribuées. Cela passe par la veille citoyenne, la pression et le contrôle aussi bien avant, pendant qu’après les élections. Ce rôle joué par la société civile n’est pas sans conséquences sur la vie sociopolitique du pays.

  • Une transparence aux impacts sociopolitiques

La société civile est désormais devenue un acteur principal des élections au Bénin. Ni organisatrice, ni partisane, ni candidate, ni bailleuse de fonds, elle assure un rôle d’intermédiaire entre tous les acteurs. Son action a un impact certain : la crédibilité du processus électoral. Cette crédibilité à son tour, induit un renforcement de l’identité nationale.

  • La crédibilité du processus électoral

La veille citoyenne assurée par la société civile et le contrôle électoral qu’elle exerce, ont un impact certains sur les acteurs politiques. L’activisme de la société civile est un facteur qui limite leurs élans de fraude. Les tentatives constatées sont immédiatement communiquées soit à la Commission électorale soit à la police ou à la gendarmerie selon la nature de l’irrégularité. Mieux, de par sa neutralité, la société civile a la facilité d’entrer en contact et d’échanger avec tous les acteurs du processus électoral. Cette facilité lui permet de régler des situations de tension. Par exemple, il a fallu l’intervention de la société civile en 2016 pour dissuader les agents distributeurs des cartes d’électeurs qui pour des raisons de primes, avaient décidé de bloquer le processus électoral par un mouvement de grève.

Dans son action, la société civile agit souvent en collaboration avec plusieurs structures. Elle a réussi à s’imposer comme une instance de pression avec laquelle tous les acteurs impliqués dans l’organisation des élections sont obligés de collaborer. Au premier rang de ses acteurs, il y a la Commission électorale. Avec cette dernière, la société civile entretient désormais une relation d’étroite collaboration. Celle-ci porte généralement à la connaissance de celle-là les irrégularités et autres informations recueillies sur le terrain afin que cette dernière y apporte des réponses rapides. On peut citer entre autres l’ouverture du bureau de vote à 6h50 au lieu de 7 heures dans un poste de vote[20], l’absence de liste électorale par endroits, le rejet de cartes d’électeur autorisées, des taches observées sur l’image d’un candidat sur le bulletin de vote, des alertes de bourrage d’urne à Porga, l’absence par endroits d’urnes, de feuilles d’émargement, de cachet.

Le même mode opératoire a été adopté avec les forces de sécurité. Plusieurs situations ont été communiquées aux commissariats et brigades qui ont promptement réagi pour soit arrêter les fautifs ou soit ramener l’ordre. Il s’agit entre autres des actes de campagne sur les lieux de vote, de la tentative de vote d’un étranger de nationalité togolaise, de la bagarre entre un mandataire de candidat et un assistant coordonnateur de centre de vote, de la distribution d’argent sur les lieux de vote, de la tentative de corruption des présidents de postes de vote, sans oublier le cas d’un votant surpris avec une quarantaine de cartes d’électeur. A ces acteurs ci-dessus évoqués, il faut ajouter également les élus locaux. Les acteurs de la société civile ont parfois recours à eux pour régler de petits incidents. C’était le cas à Gbekandji où le chef de village a dû intervenir pour disperser des personnes qui posaient des actes de campagne à quelques mètres du lieu de vote.

Avec le gouvernement et les partis politiques, il s’agit parfois de plaidoyers pour débloquer des situations confuses. Il existe également une collaboration avec des institutions étatiques dans le cadre du suivi des élections. Le projet « Elections dans la paix » de 2015 a été par exemple porté par la Haut-Commissariat pour la Gouvernance concertée, une structure gouvernementale placée sous la tutelle directe du Président de la République.

Les relations des associations de la société civile avec les médias dans le suivi des élections est également d’une importance remarquable. Les médias sont des partenaires pour la visibilité des actions de la société civile. De par le déploiement de leurs observateurs et la mise en place de leur salle de situation électorale, les acteurs de la société civile constituent une source d’information intéressante pour les médias. Leurs rapports ont donc toujours été très étroits depuis l’avènement du renouveau démocratique. Les prises de positions des acteurs de la société civile s’expriment dans la presse pour avoir un écho dans l’opinion publique. Les relations de la société civile sont également très fortes avec les acteurs internationaux. L’impartialité de la société civile et le rôle qu’elle joue font d’elle, un interlocuteur crédible pour les observateurs internationaux et les ambassades accréditées au Bénin.

Dans l’ensemble, les actions menées par la société civile ont pour enjeu et en même temps pour impact, de garantir la crédibilité du processus électoral. Cette crédibilité peut se mesurer à travers le nombre de moins en moins élevé des contestations électorales d’une part mais également par les commentaires et les rapports des observateurs internationaux.

  • Le renforcement de l’identité nationale

De la crédibilité du processus électoral, découle naturellement la crédibilité et la légitimité des institutions issues des élections. Le Président de la République est respecté par ses compatriotes et sa légitimité est assurée dès lors que son élection s’est déroulée dans des conditions de transparence. Il en est de même pour l’institution parlementaire ainsi que pour les conseils municipaux, communaux et locaux. Cette crédibilité du processus électoral et la légitimité des institutions qui en résulte sont des facteurs de renforcement de l’édifice démocratique. L’action de la société civile contribue donc à la préservation et la consolidation de l’expérience démocratique. L’attachement à la démocratie constitue d’ailleurs un élément prépondérant de l’identité nationale du Bénin[21]. Point de départ des transitions démocratiques africaines du début des années 1990, le Bénin fait depuis lors une expérience exemplaire[22] de la démocratie.

L’organisation régulière des élections avec des alternances opérées au sommet de l’Etat est considérée comme un indicateur sérieux de la santé du processus démocratique béninois[23]. A travers la crédibilité de son processus électoral, le Bénin s’efforce donc depuis 1990 de se construire une identité de « laboratoire de la démocratie en Afrique »[24]. La promotion de cette identité à l’international est même devenue un fondement de la politique étrangère du pays[25]. C’est une image de marque projetée dans le concert des nations afin de s’assurer une reconnaissance et une influence internationales[26]. C’est dire que l’impact du rôle de la société civile va même au-delà de la simple crédibilité de l’élection, mais participe aussi du rayonnement international du pays.

En plus de la démocratie, l’attachement à la paix sociale est une question d’identité nationale au Bénin[27]. Depuis son indépendance le 1er août 1960, le Bénin n’a jamais été confronté à un conflit armé. Les Béninois ont toujours opté pour le règlement pacifique de leurs différends. La Conférence nationale des forces vives de février 1990 est considérée au Bénin comme un excellent produit de cette identité de paix. L’action de la société civile en période électorale contribue à la préservation de cette paix sociale, chère aux Béninois. Cette action rassure les Béninois sur la bonne préparation et le bon déroulement de l’élection ainsi que sur la sincérité des résultats proclamés. Au lendemain de la présidentielle de 2016, un membre de la diaspora béninoise félicitait d’ailleurs la plateforme des organisations de la société civile en des termes assez expressifs de l’importance du rôle de cette dernière dans la préservation de la paix postélectorale : « cette paix, nous vous la devons »[28].

La société civile est perçue comme l’œil du citoyen lambda dans le contrôle du processus électoral. Elle est plus accessible que les autorités politiques et les responsables de la Commission électorale. Elle est présente sur des émissions radiodiffusées et télévisées, sur les réseaux sociaux pour informer en temps réel les citoyens sur l’évolution de la situation dans le pays. Elle organise régulièrement des campagnes de sensibilisation dans toutes les communes pour inciter les populations à adopter des comportements de paix en période électorale. Dans les médias, elle fait diffuser des spots et des sketches de sensibilisation à la paix. Toutes ces actions créent une forte relation de confiance entre les populations et les acteurs de la société civile.

Ces organisations ont joué un rôle prépondérant dans l’information, la sensibilisation et l’éducation de la population sur les élections et le vote. En cette matière, les partis politiques dont c’est le rôle d’assurer la formation politique des citoyens, ont brillé par leur passivité. L’absence d’initiative et d’action de la part des partis politiques a laissé cette responsabilité à la société civile. Cette dernière ayant axé son action sur la formation à la paix, a donc essentiellement contribué à la consolidation de l’identité nationale du pays. Cette prédisposition à la paix constitue un frein à la violence postélectorale. L’exemple de l’élection présidentielle de 2011 peut ici servir d’illustration. Après la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle qui avait consacré la réélection au premier tour du président Boni Yayi, le candidat malheureux Adrien Houngbédji avait appelé le peuple à « un devoir sacré de résistance »[29]. Mais son appel n’a pas obtenu d’écho favorable dans l’opinion publique plus préoccupée par la préservation de sa stabilité politique et de la paix.

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Documents officiels

Document de capitalisation du Projet « Elections législatives, municipales-communales-locales de 2015 et présidentielle de 2016 dans la paix au Bénin », Avril 2015-Juin 2016.

HOUNGBEDJI Adrien, Déclaration prononcée lors d’une conférence de presse le 30 mars 2011 à Cotonou, http://www.lapressedujour.net/archives/9902, consulté le 30 septembre 2017.

MESTRE Christophe et TOMETY Simon-Narcisse, Etat des lieux de la situation de la société civile au Bénin et orientations pour le renforcement de ses capacités, Rapport final, Octobre 2004, p. 27.

Rapport général, Salle de situation électorale, élection présidentielle de mars 2016 au Bénin.

Internet

Site officiel de Visages du Bénin, http://actualites.visages-du-benin.com/2015/05/13/nouveau-report-des-elections-municipales-communales-et-locales-des-maires-chanceux-face-a-des-institutions-flexibles/, consulté le 15 juillet 2017.

Mots clés :

Bénin – Société civile – Démocratie – Elections – Transparence

[1] OTAYEK R., « “Vu d’Afrique ”. Société civile et démocratie. De l’utilité du regard décentré », in Revue internationale de politique comparée 2002/2 (Vol. 9), p. 193-212.

[2] PÉREZ-DIAZ V., The Return of Civil Society. The Emergence of Democratic Spain, Cambridge, London, Harvard University Press, 1993.

[3] YOUNG C., « In Search of Civil Society », in HARBESON J.W. et al., (ed.), Civil Society and the State in Africa, Boulder-London, Lynne Rienner Publishers, 1994, pp. 48 et 51.

[4] LOCHAK D., « La société civile : du concept au gadget. », https://www.u-picardie.fr/curapp-revues/root/19/lochak.pdf, consulté le 03 septembre 2017.

[5] MESTRE Christophe et TOMETY Simon-Narcisse, Etat des lieux de la situation de la société civile au Bénin et orientations pour le renforcement de ses capacités, Rapport final, Octobre 2004, p. 27.

[6] KOKOROKO K. D., « Les élections disputées : réussites et échecs », In Pouvoirs, n°129, 2009, p. 115.

[7] DE SOUZA C. G., « Le régime de retrait de candidature de l’élection présidentielle du Bénin », in AIVO F. J. (Dir.), Jurisprudence électorale commentée, la présidentielle de 2016 devant la Cour constitutionnelle du Bénin, Cotonou, Presses universitaires du bénin, pp. 111-126, inédit.

[8] Site officiel de Visages du Bénin

http://actualites.visages-du-benin.com/2015/05/13/nouveau-report-des-elections-municipales-communales-et-locales-des-maires-chanceux-face-a-des-institutions-flexibles/ consulté le 15 juillet 2017.

[9] Décision DCC 34-94 du 23 décembre 1994

[10] Ibid

[11] Décision DCC 05-118 du 27 du 27 septembre 2005.

[12] GBEMISSOKE P., Divisée sur la désignation de son représentant à la Cena 2011 : Le Bénin face à une société civile Kpayo (Preuve qu’elle est pire que la classe politique), http://bj.jolome.com/news/article/divisee-sur-la-designation-de-son-representant-a-la-cena-2011-le-benin-face-a-une-societe-civile-832, consulté le 4 septembre 2017; Décision EP-022 du 04 mars 2011, KEKE C., « Composition du bureau de la Cena : Quel président pour la Cena 2011 ? », http://bj.jolome.com/news/article/quel-president-pour-la-cena-2011-composition-du-bureau-de-la-cena-882, consulté le 4 septembre 2017.

[13] La Coalition nationale pour la Paix : CNP, le Réseau ouest-africain pour l’édification de la Paix au Bénin : WANEP-Bénin, l’Association de Lutte contre le Racisme, l’Ethnocentrisme et le Régionalisme : ALCRER et le Réseau Social Watch

[14] Document de capitalisation du Projet « Elections législatives, municipales-communales-locales de 2015 et présidentielle de 2016 dans la paix au Bénin », Avril 2015-Juin 2016.

[15] Rapport général, Salle de situation électorale, élection présidentielle de mars 2016 au Bénin.

[16] Document de capitalisation du Projet « Elections législatives, municipales-communales-locales de 2015 et présidentielle de 2016 dans la paix au Bénin », Avril 2015-Juin 2016.

[17] Rapport général, Salle de situation électorale, élection présidentielle de mars 2016 au Bénin.

[18] Ibid

[19] Ibid

[20] Le Poste de vote 2 de l’Ecole primaire publique de Gbégamey nord/B à Cotonou.

[21] LAWSON B. D., Les identités partagées comme facteur de paix et de stabilité : le cas du Bénin, Thèse pour l’obtention du grade de Docteur de l’Université de Bordeaux VI, 2013, p. 249.

[22] BOLLE S., Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie africaine par la Constitution, Montpellier, 1997, pp. 35-206 ; BANEGAS R., Retour sur une transition “modèle”. Les dynamiques du dedans et du dehors de la démocratisation béninoise, Paris, Karthala, 2003, 494 p. ; ADAMON A. D., Le Renouveau démocratique au Bénin. La Conférence Nationale des Forces Vives et la période de Transition, Paris, L’Harmattan, 1995, 223 pp.

[23] KOUKOUBOU E. O., Les stratégies de puissance dans la politique étrangère du Bénin de 1990 à 2016, Mémoire de Master 2 recherche à l’Université Jean Moulin Lyon 3, 2017, 100 p.

[24] BALDE S., La convergence des modèles constitutionnels : études de cas en Afrique subsaharienne, Thèse pour l’obtention du grade de docteur en Droit de l’Université de Bordeaux IV, p. 100.

[25] KOUKOUBOU E. O., op. cit.

[26] Ibid

[27] LAWSON B. D., op. cit.

[28] Cette déclaration a été diffusée sur la chaîne de télévision locale E-Télé le 21 mars 2016.

[29] Déclaration prononcée lors d’une conférence de presse le 30 mars 2011 à Cotonou, http://www.lapressedujour.net/archives/9902, consulté le 30 septembre 2017.

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