A rebours de nos évidences, aux détours des frontières établies, aux contours de nos lignes directrices, aux antipodes de nos certitudes et espérances démocratiques, à contre-courant de nos schémas traditionnels, les acquis de la démocratie béninoise tombent. Presque en ruine. Symbole et symptôme d’une mort vivante. Le catéchisme des usages républicains en turbulence et en décomposition. Besoin de résurgence. Car, l’euphorie démocratique[1] a laissé place à une sorte d’apathie et d’asphyxie démocratiques.

En effet, l’installation de la 8ème législature de l’Assemblée nationale, loin de clore le feuilleton électoral, fait éclore de nouveaux épisodes. Les élections législatives du 28 avril 2019 sont constitutives d’un Piège fatal. Oui, cette fois-ci, le point d’interrogation à la fin du titre de la note d’analyse que le CiAAF a consacrée à la question[2], n’est ni utile ni opportun. Le fait est là. Ces législatives auront été inédites. Aussi bien dans les actes préparatoires, que pendant le jour du scrutin et la période post-électorale. L’élection, déjà devenue l’unité de mesure de la démocratie, est vidée de sa substance, dépourvue de toute compétition. Cette haine des principes démocratiques est étrange. Véritable deuil du politique[3].

Temps de crise, temps d’angoisse, temps de tristesse, temps de stress, temps de détresse. La ternissure, la fissure et la brisure du pacte démocratique font mal. Pour le peuple du Bénin, cette fatigue, ce dépérissement et cette souffrance démocratiques chassent toute espérance. Et pourtant ! L’histoire n’est pas silencieuse. « Même dans les plus sombres des temps, une illumination vient moins des théories et des concepts que de la lumière incertaine, vacillante et souvent faible que des hommes et des femmes, dans leur vie et dans leur œuvre, font briller »[4]. Dans la situation actuelle du Bénin, que pourrait symboliser cette lumière ? Elle est dans les actes à faire pour atténuer la crise et apaiser les tensions ; elle est aussi dans les actes à ne pas faire pour ne pas aggraver la crise.

Dans cette crise de représentation, crise de la démocratie représentative, avec un Parlement souffrant de « malformations congénitales chroniques »[5], ne regroupant que des partis, écuries présidentielles, il y a des choses à ne pas faire. Pour ne pas aggraver la crise. Elles sont nombreuses car, la crise est profonde. Mais l’urgence permet de mettre en lumière quelques-unes. Peut-être les plus importantes.

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est d’ignorer l’opposition.

Elle est repoussée hors du Parlement. Cependant, elle existe. Et l’erreur serait de ne pas la prendre en compte et de ne l’associer dans les décisions que le Parlement serait amené à prendre. Cela peut paraître paradoxal ou invraisemblable. Mais, il y a un réservoir de possibles enfouis en l’homme qu’il faut ouvrir. Car, l’inédit que nous traversons exige des remèdes exceptionnels ; un droit d’un autre type. Ou même pas. Le droit n’est d’ailleurs pas « cet absolu dont souvent nous rêvons »[6].

En effet, bien plus que les textes, les mécanismes institutionnels de fonctionnement et les formes procédurales, la démocratie est une « forme de société ». La représentation, dans les conditions normales de démocratie, est déjà un dispositif complexe où s’entremêlent indéterminations et incertitudes : confiance, méfiance, défiance. Et ça, c’est la situation normale dans laquelle les représentants sont revêtus de la légitimité nécessaire et jouissent d’un ancrage national certain. Les citoyens ne se satisfaisaient déjà plus de ceux qui les représentaient. Se considérant de moins en moins pleinement représentés par ceux qu’ils ont pourtant choisis… Dans la figure exceptionnelle de la 8ème législature au Bénin, les modes de fonctionnement et les modalités de prise de décisions ne doivent pas exclure l’opposition extra-parlementaire. Les évolutions, les fluctuations et mutations de la démocratie contemporaine l’exigent. Les nouvelles ressources et prescriptions de fonctionnement du Parlement ne sont pas difficiles à inventer au regard de l’entropie qui affecte aujourd’hui la démocratie représentative. L’opposition ne doit pas être écartée, aussi bien dans les prises de décisions que dans les désignations des membres devant éventuellement siéger au sein de différentes institutions[7].

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est d’écarter le peuple.

L’Assemblée nationale est censée incarner le lieu d’expression de la volonté générale collective. Au-delà de l’écart de plus en plus grand entre cette volonté et celle réellement exprimée par les parlementaires dans les démocraties contemporaines, la situation singulière du Bénin, impose une nouvelle approche.

La représentation est en effet la présentation d’une entité absente : le peuple. On fait de l’absence une présence, on fait « comme si »… Représenter, c’est agir à la place de quelqu’un qui vous a délégué. Cette logique de substitution ou de délégation n’est pas vraiment établie pour la 8ème législature de l’Assemblée nationale. Dès lors, il faut rechercher la pureté de la figure authentique et originelle du peuple. Peut-être, faudra-t-il ressusciter Jean Jacques Rousseau. Le peuple, écrit-il, « est le seul sujet de la volonté générale et il ne doit déléguer sa souveraineté à aucune volonté particulière. (…) Le souverain qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même »[8]. Cette pensée est davantage vraie quand les conditions et règles qui participent de la délégation sont biaisées. Le mouvement et la marche démocratiques donnent en effet la possibilité aux citoyens d’être non seulement auteurs mais acteurs de contre-pouvoirs. Ce qu’il ne faut pas faire pour ce Parlement, est de se refuser à « recevoir et à diffuser un flux d’informations, de la société et vers la société (…) ». Un système parlementaire efficace « est un système perméable au corps social, un système à la fois récepteur (réceptif aux impulsions populaires) et émetteur (transmettant des informations, des messages vers le peuple »[9].

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est d’engager une révision suspicieuse de la Constitution

Faut-il encore le dire, entreprendre une révision « déconsolidante »[10], opportuniste et inopportune de la Constitution du 11 décembre 1990, risque d’anéantir totalement la paix sociale et la stabilité politique. Dans l’inconscient collectif béninois, la révision de la Constitution, fera partie des toutes premières actions du Parlement de la 8ème législature. Il ne faut pas être à ce rendez-vous ! Cela risque d’aggraver la crise. Du moins, si ce rendez-vous doit être honoré, il faut qu’il le soit, avec une approche transparente, inclusive, participative. En dehors de ce dieu de la démocratie béninoise[11], ce qu’il ne faut pas faire, c’est engager le destin collectif à travers l’adoption de lois qui ne visent que les intérêts de quelques-uns.

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est laisser intactes, les lois problématiques

Il serait dommageable et préjudiciable de ne pas extirper, purger et expurger le droit positif béninois de ces lois qui l’affectent, l’affligent, et le mettent à deux genoux et à deux coudes. A commencer par celles anxiogènes et polémogènes. Principalement, la Loi n° 2018-23 du 17 septembre 2018 portant Charte des partis politiques et la Loi n° 2018-31 du 03 septembre 2018 portant Code électoral en République du Bénin (et les conditions de leur mise en œuvre).

Tout n’est pas dit, tant s’en faut. Du reste, la brièveté occasionnelle des fonctions politiques, les fragilités de nos épaisseurs humaines doivent inspirer la retenue, la mesure, la recherche du bien de tous. Ainsi, ressuscitera le merveilleux démocratique béninois. Ceci passe aussi par les choses à faire pour un véritable dégel de la crise…

[1] L’un des éléments de matérialisation de l’euphorie démocratique au Bénin, c’est la fête caractéristique des moments électoraux.
[2] Expédit Ologou (coordonné par), Législatives 2019 au Bénin : le piège fatal ?, Cotonou, CiAAF, avril 2019, 50 p.
[3] Alain Cugo, « Le deuil du politique », Etudes, Hors-série, La politique. Crise et désir de renouveau, 2016, pp. 29-39.
[4] Lire, Hannah Arendt, « Préface », Vies politiques, Paris, Gallimard, 1974.
[5] Expédit Ologou, « Le Parlement du Bénin. Une affaire à suivre », Position Paper n°1, 06 juin 2019, p. 4, https://www.ciaaf.org/storage/2019/06/Le_parlement_beninois_Ciaaf_Expe%CC%81dit_Ologou.pdf.
[6] Jean Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 2014, p. 487.
[7] Notamment la Cour constitutionnelle et la Haute autorité de l’audio-visuel et de la communication, pour lesquelles le Parlement est amené à choisir parmi des personnalités autres que des députés.
[8] Jean Jacques Rousseau, Contrat social, cité par Myriam Revault d’Allonnes, « Les paradoxes de la représentation politique », Etudes, Hors-série, La politique. Crise et désir de renouveau, 2016, p. 58.
[9] Roger-Gérard Schwartzenberg, cité par Franck Somali, Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique, Thèse de droit public, p. 305.
[10] Ismaïla Madior Fall, Les révisions constitutionnelles au Sénégal : Révisions consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie sénégalaise, Dakar, CREDILA, 2011, 218 p.
[11] Expédit Ologou (coordonné par), Législatives 2019 au Bénin : le piège fatal ?, op. cit., p. 39.

 

 

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