La passation de charges entre les professeurs Théodore HOLO et Joseph DJOGBÉNOU, respectivement Titulaire de classe exceptionnelle en droit public et sciences politiques et Agrégé de droit privé d’une part, président sortant et président entrant de la Cour constitutionnelle du Bénin d’autre part, ne marque pas simplement la fin de la 5ème mandature et le début de la 6ème mandature de ladite Cour. Bien au-delà du fait objectif, la cérémonie du vendredi 8 juin 2018 a consacré un tournant décisif du constitutionnalisme béninois. En effet, la fin de la mandature sortante et la « retraite » corrélative du président HOLO consacre le retrait définitif, du sein de la plus haute juridiction du Bénin  en matière constitutionnelle, des acteurs de la Conférence de forces vives de la Nation et des rédacteurs de la Constitution de 1990. C’est donc toute une génération qui s’en va. Hommage à la génération des AHANHANZO-GLÈLÈ et DOSSOU, pour ne citer que ceux-là !

La prestation de serment de la nouvelle mandature est donc l’occasion de tirer un bilan de la mandature qui s’achève. Que retiendrons-nous de positif comme de négatif de la Cour HOLO ? Quelles sont les perspectives ? De même, l’entrée en fonction de la Cour DJOGBÉNOU est l’occasion de revenir sur la composition déséquilibrée de cette mandature et d’émettre une critique des mécanismes actuels de désignation avant de proposer une réécriture de l’article 115 de la Constitution du 11 décembre 1990.

Le riche héritage laissé par HOLO et ses pairs

« Aux autres de nous juger, à l’Histoire de nous apprécier », a humblement recommandé le président de la mandature sortante, quand il passait symboliquement le maillet à son successeur ce vendredi 8 juin. Que nous laisse-t-il en héritage ? S’il faut éviter de déifier Théodore HOLO, le maître des maîtres des étudiants en droit des universités du Bénin, on ne peut cependant se retenir de célébrer la qualité de son office à la tête de la Cour constitutionnelle entre 2013 et 2018. Sur trois questions vitales à toute démocratie, la Cour présidée par Théodore HOLO ne s’est pas dérobée à sa mission. Ainsi, qu’il nous soit permis de rappeler ici quelques décisions inscrites sur du marbre et consolidant l’État de droit en construction au Bénin. Elles portent sur les libertés démocratiques, l’organisation des élections et la stabilité du régime.

En ce qui concerne les libertés démocratiques, les décisions de la Cour HOLO qui les renforcent et les protègent sont nombreuses. L’une des dernières qu’elle a rendues était relative à un arrêté du Préfet du Littoral. Le texte[1] pris par Modeste TOBOULA entendait conditionner l’autorisation des manifestations publiques à caractère revendicatif à l’enregistrement préalable des manifestants en tant que personne morale (une association par exemple). Le préfet est certes soucieux du maintien de l’ordre public ; néanmoins, son texte est plutôt discriminatoire et contraire à la prescription générale de l’article 25 de la Constitution du 11 décembre 1990. En effet, il ressort de la décision DCC 18-117 de la Cour que : « le souci légitime de préserver l’ordre public ne saurait justifier, même en période de crise, une suspension des droits des citoyens garantis par la Constitution ». Le même reproche est fait à la tentative de retrait par voie législative du droit de grève à certaines corporations de la fonction publique béninoise vite retoquée par la Cour en janvier 2018[2]. Plus tôt, en 2017, la Cour constitutionnelle a été le dernier rempart contre la mesure de musèlement des associations d’étudiants dont le gouvernement voulait, un temps, suspendre les activités dans les universités publiques[3].

Ces décisions choisies parmi tant d’autres prouvent à suffisance que le juge constitutionnel doit être aujourd’hui et demain le protecteur par excellence des libertés publiques. Face aux velléités de restriction, légitimes ou pas, de la puissance publique, le juge a reçu la charge de rétablir le principe. Partant de là, le nouveau code pénal, voté début juin par l’Assemblée nationale et qui prévoit de réprimer tout rassemblement de personnes sur un lieu public sans autorisation, est-il conforme à la Constitution béninoise ? La Cour DJOGBÉNOU tranchera la question quand elle aura à en contrôler la constitutionnalité, même si on peut supputer sur la position qui sera la sienne, quand on sait que le tout nouveau président de la Cour était encore dans la position de ministre de la Justice et de Législation quand ce code était voté par les parlementaires. La défense du projet de loi était d’ailleurs l’une de ses dernières activités avant son départ du gouvernement. Wait and see, disent les Anglais !

On attendra aussi la Cour DJOGBÉNOU sur l’organisation des élections législatives de 2019. Avant elle, la Cour précédente à eu à s’illustrer en matière électorale ces dernières années par des décisions qui valent des rappels à l’ordre à la classe politique béninoise. Entre 2014 et 2015, alors que le gouvernement de Boni YAYI et le COS-LÉPI (Conseil d’orientation et de supervision de la Liste électorale permanente informatisée) se livraient à un jeu dangereux autour du financement de l’actualisation de la liste électorale, compromettant de ce fait l’organisation des élections législatives et communales, la Cour constitutionnelle a été un arbitre efficace : par des décisions successives, la Cour a fait débloquer la situation en fixant des dates impératives au COS-LÉPI pour achever son travail et livrer les cartes d’électeur… Mieux, les dates des deux scrutins de 2015 avaient été fixées d’autorité par la Cour constitutionnelle[4]. Ce fut un soulagement à l’époque. Un an plus tard, en 2016, la Cour constitutionnelle avait aussi été amenée à intervenir en amont du scrutin quand la confection et la distribution tardives des cartes d’électeur laissaient planer des menaces sur l’organisation de la présidentielle de mars. L’intervention utile de la Cour HOLO avait garanti le vote pour les électeurs détenteurs d’anciennes cartes de 2015.

Que ce soit en 2014, en 2015 ou en 2016, la Cour HOLO s’est si impliquée dans l’organisation des élections par des décisions dignes de commandements qu’il semble impensable qu’une élection se tienne au Bénin désormais sans que le juge constitutionnel n’intervienne, tant les incuries des politiciens sont imprévisibles ! Et c’est en cela que les décisions par lesquelles la Cour constitutionnelle a rappelé les députés à l’ordre quand ceux-ci ont délibérément choisi de ne pas désigner leurs représentants au COS-LÉPI en 2017[5] doivent aussi être citées parmi les décisions d’envergure de la Cour HOLO en matière électorale. Qui mieux qu’un député qui plus est le vice-président du parlement pour reconnaître que la Cour avait raison de faire l’injonction de décembre 2017 ? C’est en effet à Eric HOUNDÉTÉ que nous devons cette reconnaissance du mérite de la décision DCC 17-262 du 12 décembre 2017. “La Cour a bien fait …”, a-t-il affirmé à l’occasion du colloque des 25 ans de la Cour constitutionnelle organisée les 2 et 3 juin 2018 à Cotonou par l’Association béninoise de droit constitutionnel.

Quid de la stabilité du régime ? Il n’échappera à personne que réviser la Constitution du Bénin, déjà rigide en elle-même, n’est pas et ne sera jamais une partie de plaisir. Si depuis la décision “Options fondamentales” de la Cour Robert DOSSOU en octobre 2011, des clauses ouvertes de la Constitution ont été rendues intangibles[6], la Cour HOLO, dans la même logique, a “cadenassé” les modalités de dévolution du pouvoir exécutif pour en assurer la stabilité. En effet, appelée à contrôler la constitutionnalité une première fois de la déclaration d’un ministre appelant Boni Yayi à briguer un troisième mandat, puis une deuxième fois de la lettre ouverte d’un citoyen à cette même fin, la Cour HOLO n’est pas allée par quatre chemins pour réaffirmer le contenu de la décision “Options fondamentales”. Mieux encore, par la décision DCC 14-199 du 20 novembre 2014, la Cour a clairement expliqué qu’une nouvelle République ne peut intervenir à la faveur d’une révision par temps normal de la Constitution ; autrement, ce serait une fraude à la Constitution comme ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire en 2016 ! Le Bénin en est préservé grâce à l’audace de la Cour HOLO. Mais on n’oubliera pas quelques points noirs qu’elle nous laisse.

Les points noirs de l’ère HOLO

On est en droit de regretter certaines décisions de la Cour constitutionnelle, 5ème mandature. Parfois, ce sont les décisions saluées qui peuvent être critiquées. Ainsi on peut valablement craindre une instauration du délit d’opinion quand le juge constitutionnel va jusqu’à délibérer sur des déclarations écrites ou orales des citoyens qui ne font que penser qu’un président en exercice pourrait briguer un nouveau mandat si une nouvelle République advenait par révision constitutionnelle. Si seulement la Cour pouvait être mise au courant de toutes les théories développées dans les amphithéâtres par les professeurs contre la décision “Options fondamentales” et toutes celles qui l’ont suivie sur le même sujet !

Une autre interprétation tendancieuse de la Constitution qu’on doit à la Cour HOLO, c’est celle qui est allée contre ce que tout le monde comprend de la limite d’âge de 40 ans au moins pour être candidat à l’élection présidentielle. Quant à savoir à quel moment une personne change d’âge en comptant par année, la Cour a surpris les Béninois en 2015 en estimant que 39 ans plus un jour font 40 ans. Autrement dit, dès le premier jour de l’année, les individus changent d’âge et ils peuvent prétendre avoir un an de plus. La polémique née de la décision DCC 15-156 du 16 juillet 2015, à quelques mois de la présidentielle de 2016, avait été si vive que la Cour a dû expliquer que sa portée était restreinte face à des responsables politiques reçus par son président. Depuis, l’esprit de l’article 44 de la Constitution est sauf.

Il n’en est pas de même pour l’article 122 de la Constitution, le siège du droit du citoyen de saisir le juge constitutionnel par voie directe ou par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité. En effet, une décision du 23 février 2017 de la Cour HOLO a rendu obligatoire, sur la base d’une interprétation large de l’article 117, le contrôle de la constitutionnalité de toutes les lois (ordinaires et organiques) avant leur promulgation. Les citoyens pourront-ils dès lors toujours se prévaloir de l’article 122 pour demander à la Cour d’apprécier la constitutionnalité d’une disposition de la loi, si cette dernière, dans son ensemble, avait déjà été déclarée conforme à la Constitution avant d’être promulguée ?

C’est à la Cour DJOBGÉNOU que reviendra la tâche de nous le dire. Mais en a-t-elle les armes scientifiques ?  Partant de certaines carences manifestes dans sa composition, nous montrerons ci-dessous que les acteurs du Nouveau Départ font preuve, depuis 2016, de palinodies et inconstances remarquables.

 

De tout temps au Bénin, les décisions d’une Cour constitutionnelle hostile gênent le pouvoir exécutif et la majorité parlementaire qui lui est acquise.

La gêne provoquée par les décisions de la Cour sortante à l’endroit du gouvernement de la Rupture n’est pas un fait nouveau. De même, le mépris nourri en retour par ledit gouvernement, qui en a fait son essuie-pied, n’est pas inédit. En effet, tantôt adulée, tantôt clouée au pilori, la Cour constitutionnelle du Bénin a toujours dérangé la classe politique dont les décisions ou législations sont déclarées contraires à la Constitution[7]. Il n’échappera à personne que le 13 septembre 2010, la député doyenne d’âge des parlementaires béninois Rosine SOGLO, manifestât son exaspération en ces termes : « Cette Cour constitutionnelle, nous allons la balayer »[8].

 

« Heureusement » que chaque gouvernement peut nommer « sa propre Cour »

 

La Cour constitutionnelle du Bénin a le statut et les compétences d’une juridiction à part entière. Toutefois, le mode de nomination de ses membres renvoie à des mécanismes exclusivement politiques. En effet, c’est le rôle prépondérant des autorités politiques (gouvernement et parlement) dans la nomination de ses membres qui est l’enjeu majeur de son fonctionnement. Et c’est ce mode de nomination, corrélé au positionnement conjoncturel des acteurs politiques, qui est la source tantôt de l’efficacité acceptée de certaines ses décisions, tantôt de la rationalité contestée de certaines de ses positions.

Le mandat des juges constitutionnels béninois est bref : il dure cinq ans. Or, le professeur D. ROUSSEAU prévenait déjà qu’une telle brièveté risque de mettre directement les juges « sous la dépendance du jeu électoral et d’aboutir à une composition des Cours semblable à celle des organes titulaires du pouvoir de nomination»[9]. Et c’est exactement ce à quoi on assiste dans le modèle constitutionnel béninois où chaque nouveau président se plaint des décisions des membres d’une Cour constituée avant son élection. C’est le cas notamment du Président YAYI qui s’est plaint des décisions de la Cour entre 2006 et 2008. Et, quand il nomma enfin « sa propre » Cour, le ressentiment changea. L’exception en la matière est le cas du renouvellement du mandat du président. Le président Patrice TALONet son gouvernement dit de la Rupture n’ont pas fait exception à cette règle. Ils étaient impatients de composer leur propre Cour constitutionnelle. Maintenant que cela est fait, quelle analyse peut-on faire de cette Cour ?

Ici, il s’agit d’une Cour dont la composition est déséquilibrée

 

La position et l’appréhension du constitutionnaliste vis-à-vis de la composition de la nouvelle Cour constitutionnelle ne doivent souffrir d’aucune ambiguïté. En effet, il faut clairement reconnaître que ni la désignation de Me Joseph DJOGBÉNOU, Professeur de droit privé, Agrégé des facultés de droit, par le bureau de l’Assemblée nationale, ni son élection au poste de Président de la Cour constitutionnelle par ses pairs conseillers, ne souffrent d’illégalité ou d’illégitimité. En revanche, et même s’il n’y a, là non plus, aucune illégalité, l’on peut déplorer valablement l’absence de spécialiste de droit public et surtout l’absence d’un constitutionnaliste dans la composition de la nouvelle Cour. Tous les juristes et tous les magistrats présents dans cette Cour sont des spécialistes de droit privé, ce qui est presque inédit dans notre histoire constitutionnelle. Même si le texte de la Constitution n’est pas vicié, on s’en est manifestement écarté de l’esprit ; car, l’on conçoit mal que les pères de la Constitution aient imaginé une Cour constitutionnelle sans spécialiste de droit public. Point n’est besoin de se référer aux modèles sous-régionaux ou même internationaux pour appuyer une telle idée qui relève, tout simplement, du bon sens. « À César ce qui à César, et aux constitutionnalistes ce qui est aux constitutionnalistes ! ».

Car les mécanismes de nomination des membres de la Cour constitutionnelle sont imparfaits

Tout bien considéré, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le mécanisme densément politique de nomination des membres de la Cour constitutionnelle du Bénin est imparfait. Dans ce contexte, la révision de l’article 115 de la Constitution du 11 décembre 1990 ne peut qu’être souhaitée. Ainsi que le suggère le Professeur Ibrahim SALAMI  dans son manuel de droit constitutionnel, il est nécessaire d’instaurer un mode de nomination plus « ouvert ». Un tel mode peut consister par exemple en la désignation des différentes catégories de membres par leurs pairs (magistrats, avocats, professeurs d’université, etc. élus en assemblée générale) ; quant aux personnalités de grande réputation professionnelle, elles pourraient être élues par la société civile. Cette suggestion n’est certes pas une panacée eu égard aux influences de plus en plus croissantes, constatées mais inavouées, des acteurs politiques dans les élections professionnelles ; mais elle pourrait déjà contribuer à une réduction des dérives actuellement constatées.

Des palinodies et inconstances des acteurs de la Rupture découle une Cour constitutionnelle sans caution intellectuelle !

D’ailleurs, quand on lit le projet de révision constitutionnelle avortée en 2017, on constate qu’il prenait déjà en compte de telles propositions (article 115 nouveau). Ledit projet est même allé jusqu’à envisager, au nombre des « Professeurs de Droit et ou de Sciences politiques de rang magistral … au moins un (01) spécialiste de Droit Constitutionnel », une disposition d’une ingéniosité salutaire. Cette règle qui devait être inscrite dans le texte de la constitution révisée est déjà presque une coutume constitutionnelle dans la mesure où les professeurs AHANHANZO-GLÈLÈ et HOLO, durant quatre mandatures sur cinq, ont pu être valablement considérés comme des « cautions morales et intellectuelles[10] » pour les Cours auxquelles ils ont appartenu. Dans cet ordre d’idée, on était en droit de s’attendre à avoir un grand professeur de droit public comme caution intellectuelle au sein de la nouvelle Cour. Sauf que, deux paradoxes semblent se dégager de la désignation des membres de ladite Cour. Le premier qui mérite d’être souligné c’est qu’aucun des sept agrégés de droit public au Bénin n’aurait postulé. Ensuite, à supposer que le pouvoir actuel veuille écarter ceux qui ont ouvertement combattu la tentative (avortée) de révision de la Constitution en mars-avril 2017 (Ibrahim SALAMI, Joël AÏVO et Dandi GNAMOU), on peut se demander pourquoi l’on n’est pas allé chercher les autres (Nicaise MÉDÉ, Epiphane SOHOUÉNOU, Arsène ADÉLOUI et Hilaire AKÉRÉKORO) ?

En conséquence de ce double paradoxe, le constat accablant pour le pouvoir en place est que, un an après l’échec de la révision, la volonté de désigner un constitutionnaliste comme membre de la Cour (une vision dont on peut accorder la paternité au Chef de l’État ou à son ministre de la Justice dans le projet retoqué) n’ait pu être implémentée à l’occasion de la désignation des Conseillers nommés par le Président alors même que la Constitution en vigueur ne l’interdit guère. Au contraire, elle le permet de par l’aspect générique de sa rédaction. La conséquence de cette attitude présidentielle, la résultante de ce revirement incompréhensible, c’est que, ni Ibrahim SALAMI , Professeur Titulaire de Droit public, ni Joël  AÏVO, Professeur Agrégé de droit public, deux des plus grands constitutionnalistes en activité au Bénin, pour ne citer que ceux-ci, ne sont présents dans cette Cour, alors que l’opinion publique les voyait légitimes à être des cautions intellectuelles de taille. Font-ils les frais de leur vive opposition au projet de révision constitutionnelle ? Ou bien, souffrent-ils de leur position politique du moment qui ne semble pas être en phase avec celle du chef de l’État ? En attendant de trouver une réponse non spéculative à ces questions, l’on peut valablement et légitimement affirmer qu’ils ont « tué » les constitutionnalistes. Mais les constitutionnalistes ne mourront point : vive le droit constitutionnel !

Défis à relever et perspectives à envisager…

Quoi qu’on dise de la composition de la nouvelle mandature de la Cour constitutionnelle, de nombreux défis l’attendent et elle n’aura ni le droit à l’erreur ni le droit d’opérer des revirements tous azimuts. Elle aura l’obligation incontournable de préserver la sécurité juridique des Béninois, de ne pas déconstruire pour reconstruire ; mais surtout, elle aura l’obligation de consolider les acquis de l’État de droit dans notre pays. Car, la Cour constitutionnelle, en tant que véritable pouvoir, dont la jurisprudence participe « au renouvellement et à l’actualisation du texte constitutionnel », ne doit jamais s’affranchir de l’esprit de la Constitution et, donc, de la volonté des détenteurs du pouvoir constituant originel, le peuple qui s’est donné la bien-aimée et très protégée Constitution du 11 décembre 1990.

 

Pourtant, à l’analyse, plusieurs éléments factuels peuvent augurer que cette espérance n’est pas encore acquise. En effet, la composition de la 6ème mandature de la Cour constitutionnelle est intervenue dans un contexte politique que l’analyste ne peut écarter et qui, du coup, lui sert de repère principal pour, en définitive, estimer qu’il y a des raisons objectives d’avoir des craintes. C’est un choix assumé dont l’objectif principal est de montrer que, finalement, la Cour DJOGBÉNOU n’est (peut-être) que victime de son contexte.

Il nous revient à l’esprit d’évoquer la volonté clairement affirmée du président de la République de vouloir des institutions plus favorables à sa politique, ses réformes. Au lendemain du rejet du projet de révision de la Constitution en avril 2016, le président de la République a mis ce revers sur le coup d’une hostilité de l’environnement institutionnel. “J’attendrai que l’environnement politique, que l’environnement institutionnel, que la composition des institutions du pays soient plus favorables pour la révision, pour les réformes, (…)”, a promis le chef de l’État sur Radio France Internationale. Il faut le lui reconnaître, le président béninois a l’honnêteté de dire ce qu’il pense ouvertement. Seulement, certaines déclarations peuvent froisser. Et les unes liées aux autres peuvent laisser croire que le chef de l’État compte sur les institutions qu’il mettra en place pour asseoir sa politique.

C’est d’ailleurs dans cette optique qu’au début de l’année 2018, à l’occasion de la traditionnelle cérémonie d’échange de vœux avec les institutions de la République, le président TALON a souhaité, salué et prôné une “convergence institutionnelle” dont le contenu (non défini à ce jour) fait sursauter tout démocrate qui vit sous un régime de séparation des pouvoirs comme c’est le cas du Bénin. La convergence institutionnelle n’est ni plus ni moins qu’un alignement des autres institutions sur la volonté de l’exécutif. Avant Patrice TALON, Boni YAYI avait souvent souhaité la “complicité entre les institutions”. L’idée d’une complicité, même quand elle est mieux habillée dans l’expression “convergence institutionnelle”, n’est pas admissible en démocratie. Et c’est à juste titre que l’opposition du temps de Boni Yayi avait dénoncé les rencontres incestueuses entre les présidents des institutions de la République autour du chef de l’État.

Si la séparation des pouvoirs n’implique pas une confrontation des pouvoirs, elle ne doit pas cependant tolérer les “mariages institutionnels”. La Cour DJOGBÉNOU formée sous le règne de la “convergence institutionnelle”, au vu de tout ceci, est-elle mal partie ?

[1] Arrêté n°8 0083/DEP/LIT/SG/SP du 13 mars 2018 portant condition de recevabilité des déclarations de marche et autres manifestations publiques à caractère revendicatif dans le département du Littoral.

[2] Voir décisions DCC 18-001 du 18 janvier 2018 et DCC 18-003 du 22 janvier 2018.

[3] Voir décision DCC 17-065 du 16 mars 2017.

[4] Voir décision DCC 15-001 du 9 janvier 2015.

[5] Voir décisions DCC 17-262 du 12 décembre 2017 et DCC 18-075 du 15 mars 2018.

[6] Sont ainsi insusceptibles de révision, même par référendum, le type présidentiel du régime, la limitation à deux du nombre de mandats de cinq ans ainsi que la fixation de l’âge au plancher et au plafond des candidats à la magistrature suprême du Bénin (Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011).

[7] SALAMI  Ibrahim et GANDONOU Diane, « Droit constitutionnel et institutions du Bénin », Édition CeDat, 2014, page 345.

[8] Propos rapportés par le quotidien « La Nouvelle Tribune » du mardi 14 septembre 2010.

[9] ROUSSEAU Dominique, La justice constitutionnelle en Europe, Montchrestien, 1992, pp. 60 ETV 61 ; cité par SALAMI  et GANDONOU, op. cit., p. 348.

[10] Expression empruntée au Professeur Ibrahim SALAMI.

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